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profondeurs, l’étonnement des millions de milliards de petits mondes qui étaient là, cachés dans une ombre pour nous absolue, a dû être grand. Et seuls les univers granitiques placés sur les points de brisement ont dû s’apercevoir de quelque chose. À l’intérieur des dalles que nous foulons aux pieds à Paris, des millions d’univers dorment, aussi tranquilles dans leur erreur de l’autonomie de leur monde, que quand ils faisaient partie des rochers de Bretagne. La lumière ne viendra pour eux que le jour où ils seront réduits en macadam.

La surprise qu’éprouvèrent les petits univers des rochers granitiques de l’île Grande, la surprise qu’éprouverait le monde caché dans un atome d’or, si l’or venait à être dissous, peut nous être réservée. Un Dieu se révélera peut-être un jour. L’éternité de notre univers n’est plus assurée, du moment que l’on est en droit de supposer qu’il est un fini, subordonné à un infini. L’infini supérieur peut disposer de lui, l’utiliser, l’appliquer à ses fins. « La nature et son auteur » n’est peut-être pas une expression aussi absurde qu’il semble. Tout est possible, même Dieu. L’histoire de l’univers, dirait-on, n’a jamais montré, autant que l’homme peut savoir, aucune raison de former une telle hypothèse. Sans doute ; mais les atomes des profondes couches de granit de l’île Grande ont été bien longtemps aussi avant de s’apercevoir de l’existence de l’humanité. Dieu ne fait pas d’apparitions dans le monde que nous mesurons et observons ; mais on ne peut prouver qu’il n’en fasse pas dans l’infini du temps. L’homme ne voit pas faux, comme le supposent les sceptiques subjectifs ; il voit borné. Son univers est grand et vieux sans doute ; c’est a dans la formule ∞ + a, or dans ce cas a = 0.

Il n’est donc pas impossible qu’en dehors de l’univers que nous connaissons (fini ou infini, n’importe) il y ait un infini d’un autre ordre, pour lequel notre univers ne soit qu’un atome. Cet infini, qui pour nous serait Dieu[1], peut ne se révéler qu’à des intervalles selon nous extrêmement longs, insignifians au sein de l’absolu. À ce point de vue, l’existence d’un Dieu aux volontés particulières, qui n’apparaît pas dans notre univers, peut être tenue pour possible au sein de l’infini, ou du moins il est aussi téméraire de la nier que de l’affirmer.

  1. Je parle au sens relatif. Un être nous dépassant de l’infini et se décelant à nous par des actes particuliers intentionnels, serait Dieu pour nous, comme l’homme est le dieu de l’animal.