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étrangères. C’est par l’insurrection de l’Herzégovine qu’a commencé, il y a plus de dix ans, la crise qui a conduit les Russes aux portes de Constantinople et a diminué l’empire de plusieurs provinces, sans trancher la question, sans créer les conditions d’une paix durable. Aujourd’hui, c’est en Candie que le mouvement insurrectionnel éclate, un mouvement encore obscur et mal défini. Ces populations de l’île de Crète, elles se soulèvent comme elles se sont soulevées plus d’une fois, contre des excès d’impôts et de fiscalité, contre les vexations d’une autorité surannée et oppressive. La Porte, suivant son habitude, s’est hâtée d’envoyer un commissaire impérial, Mahmoud-Djehalledin-Pacha, pour recueillir les plaintes des populations, pour essayer de pacifier l’île par de bonnes paroles et des promesses de réformes ; mais Mahmoud-Pacha est revenu à Constantinople sans avoir rien pacifié du tout ? c’est même une question de savoir si des réformes administratives peuvent être efficaces, et comme la Porte ne peut pas procéder par la force, l’insurrection peut se prolonger jusqu’à ce que les puissances s’en mêlent, au risque de compliquer et d’aggraver la question par leurs antagonismes. C’est là effectivement le point délicat. Déjà des Crétois paraissent avoir eu l’idée de profiter de la présence prochaine de l’empereur Guillaume à Athènes pour invoquer son appui. D’un autre côté, il y a, depuis quelque temps, une propagande assez active, même assez bruyante, pour persuader aux insurgés de l’île de Crète qu’ils n’auraient rien de mieux à faire que de solliciter le protectorat de l’Angleterre, de réclamer le sort peu enviable de l’île de Chypre ; mais l’empereur Guillaume ne peut rien que d’accord avec les autres puissances, et l’Angleterre, malgré les sympathies témoignées par lord Salisbury aux insurgés crétois, ne songe probablement pas à rechercher, à accepter un nouveau protectorat.

En réalité, il n’est point douteux que le jour où l’île de Crète serait détachée du domaine ottoman, la solution la plus sensée, la plus naturelle serait l’annexion au royaume hellénique. C’est le vœu intime de la population crétoise ; c’est aussi l’ambition des Grecs qui, en tacticiens prudens, comprennent aujourd’hui la nécessité de ne rien précipiter. Ils se défendent habilement de toute solidarité avec l’insurrection. Ils prodiguent même les conseils de patience aux Crétois ; ils sentent que tout pourrait être compromis encore à l’heure qu’il est par une agitation qui pourra toujours renaître quand on le voudra. Évidemment le dernier mot n’est pas dit, et en attendant, cette insurrection de l’île de Crète reste un élément incandescent de plus dans ce vaste foyer de l’Orient où il y a déjà la Serbie, la Bulgarie, la Macédoine, — où peuvent s’allumer tous les conflits que l’Europe redoute.

Que l’Angleterre, qui a déjà l’île de Chypre par une fantaisie d’ostentation de lord Beaconsfield, qui occupe l’Egypte et se trouve engagée à cette heure même sur le haut Nil dans des expéditions périlleuses pour