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de ses évolutions. Encore faut-il nous inquiéter de le connaître et pénétrer résolument dans ce monde, dussions-nous faire le sacrifice de quelques-uns de nos raffinemens. Si nous nous en éloignons de plus en plus, si nous continuons de passer indifférens devant ces merveilles, parce qu’elles ont le tort d’être utiles, et devant ceux qui les créent, parce qu’ils ont le défaut d’être pratiques, notre horoscope deviendra trop facile à tirer ; un beau jour, nous nous retournerons étonnés : il n’y aura plus personne derrière nous ; nous resterons une douzaine, dans la pagode aux mandarins ; nous échangerons nos livres entre nous, ce qui sera peu rémunérateur ; nous les vanterons en famille, ce que nous ne faisons pas toujours d’un cœur très prompt. Ce seront des temps bien durs.

Je ne préconise pas, juste ciel ! ce qu’on appelle la vulgarisation scientifique. Le mot, qui est odieux, nous prévient assez contre la chose. Il s’agit de reprendre partout notre bien, les idées générales, les préoccupations des plus actifs parmi nos contemporains, les aspects changeans du travail, leur symbolisme moral, leur poésie ; il s’agit de puiser, nous aussi, au grand réservoir de la force. Quelques gens de science, jaloux de leur privé, nous feront d’abord grise mine ; ils relèveront avec sévérité nos inadvertances ; car si l’on peut toujours avancer une sottise philosophique, parce qu’elle s’intitule une idée originale, on n’a pas le droit de risquer une hérésie scientifique, celle-ci s’appelant jusqu’à nouvel ordre une erreur. Les vrais savans ne nous en voudront pas de penser et d’imaginer, à nos risques et périls, au-dessus des sujets qu’ils approfondissent par le dessous. Aujourd’hui surtout, quand la science s’est fait une loi, très sage pour elle, de limiter rigoureusement ses recherches aux objets qui souffrent l’expérimentation, il est bon que des esprits moins retenus aillent errer autour de ses livres et de ses creusets, afin d’en reverser le contenu dans ce vieux fonds d’idées communes que l’on ne prouve jamais entièrement, et dont l’humanité a toujours besoin pour vivre.

Le mot de poésie est venu sous ma plume. Dire que la poésie renaîtra de la science et de ses applications, c’est énoncer un dogme déjà banal, accepté de tous depuis longtemps. Mais on l’accepte comme tant d’autres vérités dont on ne semble pas très sûr, sans essayer de les mettre en pratique. — L’autre soir, avant de me rendre à la galerie des machines, je relisais le Prométhée enchaîné, le drame souverain où Eschyle a jeté toute la philosophie et toutes les douleurs de l’humanité. Quand j’entrai dans la nef de fer, inondée de lumière et toute frissonnante sous l’haleine de l’énergie