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l’autre, elle doit être conditionnée à son tour par une énergie supérieure, souveraine, par une cause unique, source première d’où émanent les deux formes d’énergie qui tombent sous notre connaissance et auxquelles nous avons ramené les lois du monde.

Buffon l’entendait ainsi, quand il disait en d’autres termes, dans son Traité de l’aimant et de ses usages : « Il n’y a dans la nature qu’une seule force primitive, c’est l’attraction réciproque entre toutes les parties de la matière. Cette force est une puissance émanée de la puissance divine, et seule elle a suffi pour produire le mouvement et toutes les autres forces qui animent l’univers… L’origine et l’essence de la force primitive nous seront à jamais inconnues, parce que cette force n’est pas une substance, mais une puissance qui anime la matière. » Tout ce passage sur les forces de la nature est à relire ; les erreurs de détail n’y infirment pas la vérité des principes généraux, discernés par le grand homme qui eut l’intuition obscure de la plupart des systèmes accrédités aujourd’hui. — Un siècle et demi a passé ; admirons comme la science indépendante, au terme de ses efforts couronnés de succès pour établir l’unité de cause dans les phénomènes de la vie, est poussée, pressée vers la nécessité logique de recourir à la Cause absolue, à la Loi primordiale d’où découlent les quelques lois simplifiées qui régissent en dernier ressort l’univers. La science loyale avoue cette nécessité ; elle fait siennes les belles paroles prononcées par M. Stokes, dans une réunion de l’Association britannique, à Exeter : « Lorsque nous passons des phénomènes de la vie à ceux de l’esprit, nous entrons dans une région encore complètement mystérieuse… La science ne pourra probablement nous aider ici que fort peu, l’instrument de recherche étant lui-même l’objet de l’investigation. Elle peut seulement nous éclairer sur la profondeur de notre ignorance, et nous amener à avoir recours à un aide supérieur pour tout ce qui touche de plus près à notre bien-être. »

Je n’ai voulu qu’indiquer ici en traits sommaires les réflexions qui s’emparent de l’esprit dans le palais de la force. Je ne puis quitter ce palais sans toucher un point plus particulier ; en m’y arrêtant, je répondrai du même coup à ceux qui reprendraient un profane de son incursion dans les domaines fermés de la science. Notre dernière causerie portait sur l’alliance nécessaire entre les arts et l’industrie. Un autre rapprochement est non moins désirable. Il s’est fait un divorce, tout nouveau pour l’esprit français, entre les lettres pures et les sciences appliquées. Rien n’est plus contraire aux saines traditions du XVIIe et du XVIIIe siècle. La philosophie naturelle, dans le sens étendu et nullement pédant que ce mot avait alors, faisait l’entretien habituel des honnêtes gens ;