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l’histoire, et qu’on ne peut le confondre avec tel coquin qui assassine des servantes pour leur voler leur argent. Si méprisable qu’il soit, il a été l’ouvrier d’une destinée, qu’à de certaines heures on croit apercevoir derrière lui, à demi sortie de l’ombre où elle se cachait, terrible, farouche, frémissante, ayant aux lèvres ce sourire des dieux qui nargue la sagesse des hommes et leur promet des malheurs.


II

« Le 30 septembre 1791, nous dit M. Goumy, l’assemblée nationale, par la voix de son président Thouret, déclara sa mission terminée et se sépara, convaincue qu’elle laissait une constitution à la France. Elle lui laissait, en effet, un papier, une charte, charta, dont les nombreuses et solennelles dispositions pouvaient se ramener à cette formule très simple : il n’y avait plus d’ancien régime, et il n’y avait plus de gouvernement. »

Le plus grave reproche que M. Goumy adresse aux constituans est de n’avoir pas su donner un gouvernement à la France, et peut-être n’en dit-il pas assez : il les accuse de n’avoir pas su, il pouvait les accuser de n’avoir pas voulu. Non-seulement ils n’avaient pas organisé le pouvoir, ils s’étaient employés à le désorganiser ; par une ponte naturelle de leur esprit, ils estimaient que sa faiblesse serait une garantie de durée pour l’œuvre de réforme sociale où ils avaient mis leur cœur, et qui était leur unique souci.

Dans un article sur le Centenaire, un publiciste anglais, M. Frédéric Harrison, s’appliquait à démontrer que la révolution française a inauguré une nouvelle forme de civilisation, qu’en étudiant ce prodigieux cataclysme, il faut savoir oublier les erreurs, les folies, les excès criminels, les monstrueuses méprises, pour ne considérer que les résultats acquis, que l’année 1789 marque la fin d’une société fondée sur la force, sur l’esprit de droit héréditaire associé aux idées de sanction théologique, sur la séparation des classes, sur les privilèges locaux et personnels, sur l’inégalité, que la même année a vu installer dans le monde une société nouvelle fondée sur la solidarité des intérêts, sur l’égalité des droits et des devoirs, « et que l’époque d’une telle transformation mérite d’être regardée comme une des plus considérables qu’il y ait dans l’histoire. » Au mois de juin dernier, M. Jules Ferry s’exprimait à ce sujet comme le publiciste anglais : « Il y a deux choses, disait-il, dans l’œuvre de la constituante, une œuvre sociale et une œuvre politique. L’œuvre sociale suffit à sa gloire. En deux ans, l’assemblée constituante a donné l’égalité des droits, la justice, la propriété, le libre