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volonté, et M. Goumy passe bien légèrement sur les intrigues de la cour, sur le mauvais vouloir et les préventions haineuses d’une reine persuadée qu’un souverain ne peut régner sans être absolu, sur les menées de princes qui regardaient toute réforme comme un attentat à la couronne, sur les complots tramés dans l’ombre, sur les négociations souterraines avec les puissances étrangères, sur des accords secrets qui purent ressembler quelquefois à des trahisons.

Mais l’entente entre la royauté et la révolution eût-elle été aussi possible qu’elle était désirable, c’est une grande illusion de croire que les révolutions puissent être sages ; leur loi et leur destin est de ne l’être pas. Dans ces crises redoutables qui font sortir le monde de ses gonds, les vérités auxquelles on croyait la veille n’ont plus de sens ni d’emploi ; les règles de conduite pratiquées jusque-là ne sont plus applicables : les jugemens fondés sur l’expérience semblent douteux, la sagesse paraît folle, la folie paraît sagesse. Les esprits les plus lucides se troublent, les âmes les plus fermes hésitent et flottent, les volontés les plus hardies tombent en défaillance ; il n’y a plus d’homme qui fasse ce qu’il voulait faire, qui soit ce qu’il voulait être. Les pacifiques poussent des cris de guerre, les miséricordieux sentent leur cœur s’endurcir, les modérés deviennent violens, les violens ne se servent de leur force que pour se détruire eux-mêmes. La loi des causes et des effets semble comme suspendue ; ce qu’on attendait n’arrive pas, ce qu’on redoutait arrive par l’effort même de ceux qui travaillent à l’empêcher, et tour à tour le bien produit le mal, le mal enfante le bien. Les années ne sont plus des années, les jours ne sont plus des jours ; les événemens se succèdent avec une vertigineuse rapidité, l’œuvre d’un siècle s’accomplit en moins d’une heure. « Je n’ai que vingt-six ans, écrivait la marquise de La Rochejaquelein dans ses Mémoires, et il me semble que j’ai vécu déjà plusieurs siècles, et la révolution n’est pas finie. »

Il ne faut pas juger les hommes sur ce qu’ils pensent et font dans ces jours extraordinaires. Ils se démentent sans s’en apercevoir, ils ont cessé de se ressemblera eux-mêmes, de s’appartenir : ils sont comme possédés. Ils exécutent les décrets qu’a rendus une puissance mystérieuse et invincible, dont ils sont les jouets ou les victimes. Les révolutions suppriment pour quelque temps la responsabilité humaine. Le conventionnel Baudot, qu’a si bien peint Quinet, avait été le compagnon de Saint-Just dans sa mission aux lignes de Wissembourg, et il se vantait d’avoir découvert Hoche. Ce montagnard, d’un grand et charmant esprit, à l’œil d’aigle, à la bouche souriante, au grand habit noir, aux bas de soie, ne parlait