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employés. Dès lors, aussitôt qu’ils ont vu que les affaires d’une vaste cité ressemblaient à celles d’une société commerciale, ils se sont convaincus qu’il fallait y appliquer le même principe : pouvoir absolu et responsabilité absolue. Si l’exécutif est fort, il s’efforcera de bien faire. Si son autorité se trouve contrôlée par celle des conseillers, les électeurs ne sauront plus à qui s’en prendre, en cas de malversation. Maintenant les citoyens comprennent que la gestion des intérêts communaux dépend entièrement des qualités du maire qu’ils élisent, et ils font généralement de bons choix. Depuis 1882, le nouveau régime a donné d’excellens résultats, et nul ne s’en plaint. N’est-il pas étrange de voir la démocratie extrême chercher son salut dans la concentration des pouvoirs ?

Ces changemens s’opèrent, bien entendu, sous l’empire des expériences faites et des nécessités reconnues. Quand la population et la richesse se sont accrues, il a fallu renoncer au gouvernement populaire direct. On a eu recours alors au gouvernement des conseils ; mais l’étendue et la complexité des besoins auxquels l’administration communale devait pourvoir sont devenues si grandes, les dépenses, les recettes, les emprunts si considérables que le régime parlementaire municipal a fléchi sous la charge. Il ne restait plus qu’à essayer du gouvernement d’un seul. C’est qu’on rencontre aux États-Unis une évolution politico-économique qu’on remarque également en Europe, l’intervention plus grande des pouvoirs publics et l’extension incessante de la réglementation : ce qui n’est autre chose que du socialisme municipal, comme l’appelle M. Albert Shaw. Voyez, par exemple, ce qui se fait dans le pays par excellence de l’initiative individuelle, en Écosse, à Glascow. Non-seulement cette cité a organisé l’enseignement gratuit et obligatoire, mais elle offre un repas aux enfans nécessiteux fréquentant les écoles publiques, elle fournit aux habitans le gaz, les appareils d’éclairage et de chauffage et elle éclaire les escaliers communs des maisons à plusieurs logemens ; propriétaire des tramways, elle met à la disposition des ouvriers des trains presque gratuits le matin et le soir ; elle a créé des bains, des salles de natation et des lavoirs publics ; elle a fait plus encore : après avoir exproprié des quartiers encombrés (slums), elle a construit des maisons qu’elle loue aux familles les moins aisées (housing of the poors). Il y a partout un entraînement général dans cette direction, qui, à mon avis, s’explique.

Dans les sociétés primitives, la liberté de tous est entière, limitée seulement par quelques coutumes presque immuables. Le choc des intérêts n’est point réglé par l’autorité : les conflits sont tranchés par la force. Plus tard, quand la population devient