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maintenir le gouvernement direct du town meeting, c’est-à-dire de l’assemblée générale des citoyens : il créait donc le système représentatif. Le corps électoral nommait un conseil municipal d’aldermen ou de councilmen, qui, dans les limites des lois générales, réglaient toutes les affaires communales, comme, en général, dans nos villes européennes. Mais l’accroissement rapide du nombre des habitans et la complexité correspondante des questions à résoudre amena presque partout une situation troublée, qu’on jugea intolérable. Ce qui augmentait le mal, c’est que l’état, usant du droit de souveraineté absolue, en vertu duquel il avait créé la cité, intervenait à chaque instant dans ses affaires par des lois spéciales. Il en résultait de tels abus et des marchés si scandaleux que les constitutions révisées interdirent de plus en plus fréquemment aux législatures des États de voter des bills de ce genre. En outre, l’organisation nouvelle donnée aux villes modifia entièrement les institutions anciennes et enleva presque tous les pouvoirs au conseil communal, pour en investir le maire. Ceci n’est rien moins qu’une révolution, car c’est la suppression du régime parlementaire municipal.

La cause de ce changement mérite de nous arrêter un moment, car c’est un phénomène économique qui se produit en Europe comme en Amérique, et dont les redoutables conséquences peuvent mettre en péril la liberté même ; je veux parler de l’accroissement de la population des villes, aux dépens de celle des campagnes. Les historiens nous apprennent que telle a été la cause principale de la décadence irrémédiable de l’empire romain. Les provinces étaient vides d’habitans, quand elles furent occupées par les barbares.

D’après le recensement de 1790, il n’existait alors aux États-Unis que treize villes comptant plus de 5,000 habitans, et aucune d’elles n’en avait 40,000. En 1880, il y en avait 494 de plus de 5,000 âmes, 40 de plus de 40,000 et 13 de plus de 100,000. Il doit y en avoir aujourd’hui au moins 30 de cette importance. La proportion des personnes vivant dans les localités de plus de 8,000 âmes était, en 1790, de 3.3 pour 100, en 1840, de 8.5, et en 1888 de 20.5. L’accroissement relatif des populations urbaines se fait donc plus rapidement encore aux États-Unis qu’en Europe.

Ce sont les capitales surtout qui grandissent d’une façon effrayante. Ainsi, Londres a plus de 4 millions d’habitans, Paris plus de 2 millions. Berlin plus de 1 million, New-York et ses faubourgs 1 million 1/2. Le nombre des villes comptant 50,000 ou 100,000 âmes augmente sans cesse. La raison en est claire. Les grandes villes offrent des avantages de toute espèce : des plaisirs plus nombreux et plus choisis ; plus de réunions et de fêtes, de meilleurs théâtres