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que tu vois prosternés à tes pieds. Comme eux, je m’agenouille devant toi, afin que tu bénisses le père avec les enfans. Puis, tu nous conteras les merveilles que Dieu a daigné accomplir par ton entremise.

— Loin de m’avoir favorisé comme tu crois, répondit Paphnuce, le Seigneur m’a éprouvé par d’effroyables tentations. Je n’ai point été ravi par les anges. Mais une muraille d’ombre s’est élevée à mes yeux et elle a marché devant moi. J’ai vécu dans un songe. Hors de Dieu tout est rêve. Quand je fis le voyage d’Alexandrie, j’entendis en peu d’heures beaucoup de discours et je connus que l’armée de l’erreur était innombrable. Elle me poursuit et je suis environné d’épées,

Zozime répondit :

— Vénérable père, il faut considérer que les saints et spécialement les saints solitaires subissent de terribles épreuves. Si tu n’as pas été porté au ciel dans les bras des séraphins, il est certain que le Seigneur a accordé cette grâce à ton image, puisque Flavien, les moines et le peuple ont été témoins de ton ravissement.

Cependant Paphnuce résolut d’aller recevoir la bénédiction d’Antoine.

— Frère Zozime, dit-il, donne-moi une de ces palmes et allons au-devant de notre père.

— Allons, répliqua Zozime ; l’ordre militaire convient aux moines, qui sont des soldats par excellence. Toi et moi, étant abbés, nous marcherons devant. Et ceux-ci nous suivront en chantant des psaumes.

Ils se mirent en marche et Paphnuce disait :

— Dieu est l’unité, car il est la vérité qui est une. Le monde est divers, parce qu’il est l’erreur. Il faut se détourner de tous les spectacles de la nature, même des plus innocens en apparence. Leur diversité, qui les rend agréables, est le signe qu’ils sont mauvais. C’est pourquoi je ne puis voir un bouquet de papyrus sur les eaux dormantes sans que mon âme se voile de mélancolie. Tout ce que perçoivent les sens est détestable. Le moindre grain de sable apporte un danger. Chaque chose nous tente. La femme n’est que le composé de toutes les tentations éparses dans l’air léger, sur la terre fleurie, dans les eaux claires. Heureux celui dont l’âme est un vase scellé ! Heureux qui sut se rendre muet, aveugle et sourd et qui ne comprend rien du monde afin de comprendre Dieu ! Zozime, ayant médité ces paroles, y répondit de la sorte :

— Père vénérable, il convient que je t’avoue mes péchés, puisque tu m’as montré ton âme. Ainsi nous nous confesserons l’un à l’autre selon l’usage apostolique. Avant que d’être moine, j’ai mené dans