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s’occupe de ceux qui les ornent et les décorent ; puis, de tous les métiers qui ont quelque rapport avec l’idolâtrie, des architectes qui bâtissent ou réparent les temples, des marchands d’encens, de victimes ou de fleurs. Pendant qu’il est en train, il voudrait bien étendre sa sévérité au commerce tout entier. Comment le commerce peut-il convenir à un serviteur de Dion, puisqu’il repose sur l’avidité et la convoitise ? Tout négociant désire devenir riche ; et, le moyen qu’il prend d’ordinaire pour y arriver plus tôt, c’est de tromper et de mentir. Il y a au moins certaines professions dont un chrétien doit à tout prix s’abstenir ; par exemple, il ne sera pas diseur de bonne aventure, ou astrologue : celui qui essaie de lire l’avenir dans les astres traite les astres comme des dieux, ce qui est un crime. Il ne sera pas lanista, ou maître des gladiateurs. Le lanista enseigne à ces malheureux à se tuer avec grâce, et le Seigneur a dit : « Tu ne tueras point. » Il ne sera pas non plus maître d’école ou professeur de belles-lettres : il serait forcé de faire expliquer aux enfans des livres pleins de fables, de leur enseigner l’histoire, les attributs et les généalogies des dieux. D’exclusion eu exclusion, il en arrive à se demander s’il peut être permis à un chrétien d’entrer dans les fonctions publiques. C’était une question grave, et nous voyons qu’elle était fort discutée autour de Tertullien. Pour lui, la réponse n’est pas douteuse : « Si l’on admet, dit-il, qu’on puisse être magistrat sans faire des sacrifices ou en ordonner, sans offrir des victimes, sans s’occuper des temples ou désigner des gens qui s’en occupent, sans donner des jeux et y présider, sans juger de la fortune ou de la vie des citoyens, sans les condamner à la prison et à la torture, alors on pourra décider qu’il est permis à un chrétien d’être magistrat. » Les jeux surtout lui causent une aversion profonde. Ils étaient devenus la plus grande passion du monde antique. Le plaisir que les Romains y prenaient était si vif que sans le théâtre et le cirque ils ne comprenaient plus l’existence. Il ne leur semblait pas possible qu’un homme pût y renoncer de son plein gré ; aussi étaient-ils tout à fait surpris de voir que les chrétiens s’abstenaient ordinairement d’y paraître. Ils n’étaient pas éloignés de croire que c’était pour eux une manière de se préparer au martyre, et supposaient qu’ils se privaient de ce qui faisait le charme de la vie pour avoir moins de peine à la quitter. Tertullien est sans pitié pour tous ceux qui assistent aux spectacles ; il regarde ce crime comme le plus grand de tous et le plus indigne de pardon. Le théâtre lui semble la maison du diable, et il raconte qu’un malin esprit s’étant un jour emparé d’un chrétien qui s’était trouvé par hasard à des jeux publics, comme l’exorciste demandait au démon de quel droit il se permettait d’entrer