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piqueroit, en ce temps-cy, ceux qui ont le sang chaud comme moi… Vous dites que vous renonceriez volontiers au titre que je vous ai donné ; je l’ai fait pour vous obliger, vous croyant capable du service à l’église. Si je me suis trompé, en ce faisant, vous désobligeant au lieu de vous gratifier, j’en suis fâché ; mais je vous dirai qu’à toute faute il n’y a qu’amende ; je ne force personne à recevoir du bien de moi. Vous prêchez aux autres le libre arbitre ; il vous est libre de vous en servir… »

Ce sont là les paroles d’un homme ulcéré, peu maître de lui. À cette époque, Richelieu se plaignait continuellement de sa santé, des tourmens qu’il endurait. Son humeur s’aigrissait. Autour de lui, on était inquiet ; on le ménageait. Sa nature, d’habitude si résolue, passait par des périodes d’abattement et de mélancolie.

Il habitait parfois son prieuré des Roches, d’où il avait l’œil sur les affaires de Fontevrault ; mais, le plus souvent, il se renfermait dans son prieuré de Coussay, près de Mirebeau, non loin de Poitiers, dont le voisinage l’attirait. Il se plaît dans cette région montueuse, aux horizons étendus, aux longues promenades, pleines de rêves fouettés par le vent.

Un joli castel du XVIe siècle, muni de tours, environné de fossés et de douves profondes aux eaux jaillissantes, lui offrait un abri coquet, riant et sûr. Ce château avait été construit vers le milieu du siècle précédent, par Bohier, évêque de Saint-Malo, dans le style le plus charmant de la Renaissance. Il cachait (et cache encore) dans un repli de terrain les quatre tours coiffées en poivrières et l’élégant donjon qui domine la vallée. Tout à l’entour, le paysage est vaste, solitaire, plein de repos.

Richelieu y séjourne ; il s’arrange un promenoir où se perdent ses pas méditatifs. Il se renferme dans le cabinet de la tour maîtresse, près de la chapelle, où il dit la messe, ayant sous la main ses livres, l’armoire secrète où il cache les papiers précieux, les notes où se fixent ses premiers desseins. C’est son « hermitage. » Il y mène l’existence « d’un pauvre moine réduit à la vente de ses meubles et à la vie rustique. »

Cette pauvreté relative est toujours son grand souci. Il s’en plaint souvent, s’efforce d’y remédier par un soin attentif, des discussions d’affaires, des procès sans fin. Il prend même en main les intérêts de sa famille, s’attendrit à la nouvelle de la mort d’une petite nièce, fille de sa sœur, mais beaucoup plus, à ce qu’il semble, en apprenant une perte d’argent qui survient à cette même sœur, Mme  de Pont-Courlay.


Cependant ces chagrins et ces préoccupations ne le détournent pas longtemps de son éternelle pensée : la cour, Paris.