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dans son ragoût provincial, n’en est pas moins éminemment substantielle. C’est par là qu’il se rattache au XVIe siècle et qu’il en garde, même dans l’amoindrissement du siècle suivant, l’originalité et la vigueur. C’est cette première culture qui forme tout un côté de son être. Il lui doit particulièrement ce goût littéraire qu’il ne perdra jamais, cette préoccupation du style, de la langue, qui feront de lui le fondateur de l’Académie française.

Les succès obtenus dans ce monde choisi et très aux écoutes d’une université provinciale donnèrent, de bonne heure, au jeune évêque confiance en lui-même. Dès 1611, ce sentiment se manifeste par l’ambition qui lui vient de représenter la province ecclésiastique de Bordeaux, dont il était suffragant, à l’assemblée du clergé qui allait se réunir à Paris. Quoique malade, Richelieu s’agite, se pousse. Son métropolitain était alors Sourdis, archevêque de Bordeaux. Richelieu lui écrit maintes lettres obséquieuses. Ce n’est pas qu’il se présente, mais « quelques-uns des diocèses circonvoisins » ont lancé sa candidature. Il ne fait que la soutenir. En réalité, il y tient beaucoup : ce serait une première occasion de se signaler. L’élection a lieu à Bordeaux, sous l’œil du métropolitain ; mais il n’est pas favorable. Richelieu, au moment décisif, envoie son fidèle vicaire, Bouthillier. Celui-ci multiplie les intrigues, remue ciel et terre et tient son évêque au courant de tout ce qu’il fait. Mais la réputation de l’évêque de Luçon n’a pas encore dépassé les limites du Poitou. Les autres évêques s’étonnent de cette ambition prématurée. L’assemblée élit l’archevêque lui-même, Mgr de Sourdis, et l’évêque d’Aure, coadjuteur de Condom. Bouthillier revient à Luçon, rapportant, pour se justifier, le procès-verbal de l’élection et le compte-rendu des intrigues auxquelles s’étaient livrés les concurrens du jeune prélat.

Ce premier échec paraît lui avoir été pénible. Il se replie sur lui-même. C’est alors qu’il sent le poids de ce long séjour en province, qu’il s’enfonce dans son ermitage de Coussay, qu’il s’abandonne à son humeur mélancolique ; qu’il se propose de quitter cet étroit horizon, d’aller plus souvent à Paris, de s’y installer ou d’y faire de plus longs séjours.

Mais ces momens de découragement, que le mauvais état de sa santé aggravent encore, ne tardent pas à se dissiper. En d’autres temps, il se rend justice à lui-même, goûte les succès qui lui viennent, se félicite des grandes relations qu’il se crée. De Paris même, on lui écrit que sa réputation va grandissant et que le cardinal du Perron le cite comme exemple aux jeunes prélats ; l’évêque d’Orléans lui adresse, sur le mode ironique, des lettres, au