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d’amitiés. Tout près de là s’élevait, à mi-chemin entre Chinon et Saumur, le royal monastère de Fontevrault.

On sait la grandeur de cet établissement, sa réputation, sa richesse, soin orgueil. Fondé par une reine, il se vantait de ne compter, depuis près de deux siècles, parmi ses abbesses, que des personnes appartenant à la famille royale. Seul peut-être de tous les monastères de la chrétienté, il était placé sous la domination absolue d’une femme, tant au spirituel qu’au temporel. Son influence s’étendait au loin ; des prieurés en grandi nombre dépendaient de la maison-mère. Des moines lui étaient soumis et recevaient de l’abbesse leur délégation et leur prébende. Il ne manquait guère à celle-ci que les ordres : « J’ai ouï conter, dit même Rabelais, qui, en qualité de voisin, s’intéressait au singulier spectacle présenté par cet ordre unique, j’ai ouï conter que le pape Jean XXII, passant par Fontevrault, fut requis de L’abbesse et des mères discrètes leur concéder un indult moyennant lequel se pussent confesser les unes aux autres, alléguant que les femmes gardaient mieux le secret que les hommes. »

Au début du XVIIe siècle, ce monastère, toujours remarquable par sa puissance et par son caractère exceptionnel, était tombé en décadence. Les religieuses n’obéissaient plus à la règle sévère de l’ordre. Elles violaient le vœu de pauvreté en se réservant des pensions personnelles ; elles rompaient le silence au réfectoire et au dortoir ; elles recevaient, sous prétexte d’hospitalité, des personnes étrangères au couvent. Des scandales plus graves avaient même été signalés. Mais nous sommes précisément à l’époque où un esprit de réformes souffle sur les ordres réguliers français. Fontevrault suit le courant qui emporte le siècle.

L’initiateur de cette réforme est un homme dont le nom, prononcé pour la première fois dans ces pages, accompagnera désormais celui de Richelieu : c’est le père Joseph.

François Le Clerc du Tremblay, issu d’une bonne famille de L’Anjou, était né à Paris, le 4 novembre 1577. Il était donc de huit ans plus âgé que Richelieu. Il avait été destiné tout d’abord, comme son illustre ami, à la carrière des armes. Mais une vocation, dans laquelle se confondaient l’élan d’une chaude imagination et l’affirmation d’un caractère énergique, l’avait, malgré les instances de sa famille, porté vers la vie ecclésiastique. Il s’était fait moine et avait revêtu l’habit de saint François, en février 1599. Bientôt prêtre, puis professeur, puis prédicateur, il s’était signalé par sa piété, son activité, son génie organisateur. Toujours rempli de vastes desseins, il savait les exécuter par les moyens les plus prompts et les plus pratiques. Il n’avait pas son pareil pour deviner les difficultés,