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à soi, on peut s’égarer par la quantité des chemins qui ne sont pas frayés et qui se dispersent en plusieurs endroits de ces marais, pour aller à des petites chaumières qui sont la retraite de pauvres gens, qui ne vivent que d’un peu de blé qu’ils sèment sur la terre qu’ils ont tirée des canaux et des pâturages où ils nourrissent quelque peu de bétail, et n’y ayant point de bois pour se chauffer, ils usent des bousats de vaches séchés au soleil, qui brûlent comme des tourbes. En un mot, je ne sais point de gens plus pauvres dans la France, que dans les marais du Bas-Poitou. »

Ce voyageur, un certain Jouvin de Rochefort, écrivait à une époque de prospérité relative. On peut s’imaginer ce qu’étaient le séjour de Luçon et l’aspect de l’évêché dans les années qui suivirent les misères de la Ligue ! Richelieu rencontrait, du premier coup, une tâche digne d’exercer sa piété et son génie.

Il était pauvre, nous l’avons dit. Mais il était fier et comptait sur lui-même. Il avait vingt-trois ans. Il se mit à l’œuvre avec la décision qui était dans son humeur et qui est, d’ailleurs, si naturelle à cet âge.

Il fallut d’abord s’installer commodément. À ce point de vue, il avait tout à faire. Laissons-le parler lui-même : « Je suis extrêmement mal logé, car je n’ai aucun lieu où je puisse faire du feu à cause de la fumée ; vous jugez bien que je n’ai pas besoin de grand hiver ; mais il n’y a remède que la patience. Je vous puis assurer que j’ai le plus vilain évêché de France, le plus crotté et le plus désagréable ; mais je vous laisse à penser quel est l’évêque ! Il n’y a ici aucun lieu pour se promener, ni jardin, ni allée, ni quoique ce soit, de façon que j’ai ma maison pour prison. »

Cette prison, il s’efforce d’en faire un réduit sortable, et même honorable. La pointe de vanité qui se mêle à toutes ses actions se montre surtout par le soin avec lequel il s’applique à s’installer, à se procurer des domestiques faisant figure, du mobilier d’apparat, de la vaisselle plate. On sent qu’il est flatté de pouvoir écrire, après quelques mois de séjour, « qu’on le prend pour un grand monsieur dans le pays. » — « Je suis gueux, comme vous savez, écrit-il encore, dans un mouvement d’un joli tour, je suis gueux ; mais toutefois, lorsque j’aurai plat d’argent, ma noblesse en sera fort relevée. »

On trouve, dans toute sa correspondance avec une bonne amie, Mme de Bourges, les traits curieux d’une application aux détails, d’une précision méticuleuse, d’un souci du qu’en dira-t-on, qui sont comme les premiers linéamens provinciaux du genre de génie qu’il devait appliquer à la conduite de sa propre fortune et à la direction des affaires publiques.