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III

Ézéchiel se donne comme prophétisant à Bain loue, pendant la déportation qui suit la prise de Jérusalem ; mais ce n’est encore là qu’une illusion. Et il ne faut pas beaucoup de liberté d’esprit pour reconnaître, à la simple lecture du livre, qu’il a été écrit tout entier à Jérusalem.

On a vu qu’en étudiant Jérémie je n’ai pas craint de répéter les observations et les démonstrations que j’avais présentées au sujet du Premier Isaïe. Je ne continuerai pas ainsi, car mon travail se trouverait plein de redites. Je ne chercherai dans Ézéchiel, à l’appui de ma thèse, que des argumens nouveaux, ou du moins qui se produiront, dans les textes de ce prophète, avec plus de force. C’est assez de dire une fois qu’on retrouve dans ce livre la même situation politique, au dedans comme au dehors, les mêmes douleurs, les mêmes revanches, les mêmes passions que dans les deux autres.

Mais Ézéchiel a mis plus en lumière que personne la réunion et la soumission de Samarie à Juda, accomplies sous le principal d’Hyrcan. Juda avait deux sœurs. Samarie et Sodome ; elles ont péché et elles ont été punies ; elles sont pardonnées, enfin, comme Juda même. Mais tandis qu’elles étaient jusque-là ses sieurs, elles deviennent maintenant ses filles (16-61), c’est-à-dire qu’elles ne sont plus ses égales, mais ses sujettes. Cela ne s’était jamais vu avant cette époque dans l’histoire d’Israël.

« Quand il y aurait ces trois hommes au milieu d’eux, dit Jéhova. Noé. Daniel et Job, cela ne les sauverait pas (XIV, 13). » Et ailleurs (XXVIII, 3) : « Tu es plus sage que Daniel ; rien de secret n’est caché pour loi. » Sur quoi M. Ed. Reuss fait remarquer justement qu’à l’époque où on fait, vivre Ézéchiel, Daniel n’était rien encore. Il en conclut qu’il s’agit ici d’un personnage inconnu. Il est plus simple d’admettre que ce livre est très postérieur au temps où on l’a placé.

Ézéchiel parle plusieurs fois de la machine de guerre qu’on a appelée un bélier (4, 2 ; 21, 27 ; 26-9). C’est encore une preuve que le livre n’est pas du VIe siècle, puisque ces machines, encore inconnues au temps de Thucydide, ne furent, inventées, au témoignage de Diodore (XIV, 42), que sous Denys de Syracuse, en l’an 400 avant notre ère[1].

  1. A. de Rochas d’Aiglum, l’Artillerie chez les anciens. Tours. (Extrait du Bulletin monumental, numéros 2 et 3, 1882, 28 pages in-8o, plusieurs figures.