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(20-4) que si le peuple du pays détourne les yeux de cet homme pour ne pas le faire mourir, c’est Jéhova lui-même qui se charge du châtiment. C’est-à-dire que cette abominable coutume, répandue d’ailleurs chez tous les peuples sémitiques (voir Diodore, 20-14), s’appuyait sur un fanatisme contre lequel toutes les réclamations étaient impuissantes. Ce fanatisme avait eu sans doute une recrudescence, pendant les crises douloureuses du milieu du IIe siècle, et les textes de l’Exode restaient toujours là pour l’autoriser.

Il n’y a pas jusqu’à la circoncision elle-même qui ne semble avoir perdu de son importance au temps des prophètes. Ce qu’il faut circoncire, dit Jérémie, c’est vos cœurs (4-4).

Et à l’égard du Temple même, quelle liberté inattendue (7-4) ! « Ne vous fiez pas aux paroles vaines, en répétant : Le Temple de Jéhova ! le Temple de Jéhova ! le Temple de Jéhova ! Si vous redressez tout de bon vos voies et vos œuvres ; si vous vous appliquez à faire bonne justice entre celui-ci et celui-là : si vous ne faites pas de ton à l’étranger, à l’orphelin et à la veuve ; si vous ne répandez pas ici même le sang innocent ; si vous ne courez pas après les dieux étrangers pour votre perte, alors je vous ferai demeurer en ce lieu jusqu’à la fin des temps, sur la terre que j’ai donnée à vos pères. Mais vous vous liez à des paroles vaines et qui ne servent à rien. Ne volez-vous pas ? ne tuez-vous pas ? n’êtes-vous pas des adultères et des parjures ? ne faites-vous pas des encensemens à Baal ? ne courez-vous pas après des dieux inconnus ? Et puis vous venez, vous vous présentez devant moi en cette maison où mon nom est invoqué, et vous dites : Nous sommes sauvés, en continuant vos abominations. Cette maison, où mon nom est invoqué, n’est donc qu’une caverne de brigands ! » On sait que ces paroles ont été reprises dans les Evangiles, et mises dans la bouche de Jésus (Marc, II, 17). Mais l’emploi qu’en fait l’évangéliste est bien mesquin, puisqu’il ne les adresse qu’aux petits marchands qui vendaient leurs pigeons dans le Temple. Le morceau a dans Jérémie un tout autre accent et une tout autre beauté.

C’est encore Jérémie qui désavoue la vieille tradition d’après laquelle Jéhova punissait les enfans pour les fautes des pères (Exode, 20, 5). « En ce temps-là, on ne dira plus : vos pères ont mangé du raisin vert, et les dents des fils en sont agacées. Mais nul ne périra que pour son iniquité : c’est celui qui aura mangé le raisin vert dont les dents seront agacées (30, 29). »

Mais ce qu’il y a de plus fort en ce sens dans Jérémie est l’idée que Jéhova lui-même a substitué à la Loi qu’il avait donnée jadis, une Loi nouvelle : « Les jours viennent, dit Jéhova, où je ferai