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composa son traité du Manteau. C’est une question qui semble d’abord assez peu importante, et de nature à plaire plutôt aux érudits qu’aux gens du monde. J’aurais fort hésité à l’aborder devant eux, craignant de les ennuyer, si elle n’offrait l’occasion de toucher à quelques points intéressans de l’histoire des premiers temps du christianisme.


I

Pour comprendre l’ouvrage, il faut d’abord avoir une idée de l’auteur. L’homme est, du reste, fort curieux à étudier, et assez facile à connaître. C’est une figure si originale et d’un relief si puissant qu’il est aisé d’en esquisser les contours.

De sa biographie nous savons peu de chose : il était de Carthage et vivait à l’époque de Septime Sévère. Ses premiers ouvrages datent de la fin du IIe siècle et l’on suppose qu’il a prolongé sa vie jusqu’au milieu du siècle suivant. Il n’était pas chrétien de naissance, et rappelle plus d’une fois le temps où il attaquait et raillait la nouvelle doctrine qu’il ne connaissait pas encore. On voit, à la façon dont il en parle, qu’il devait être alors pour elle un ennemi fougueux ; mais quand il l’eut embrassée, il en devint aussitôt le plus passionné défenseur.

C’était en toute chose une nature de feu. D’ordinaire, on attribue la violence de son tempérament au pays d’où il tirait son origine, et l’explication paraît d’abord assez plausible. Cependant il faut ne pas oublier que l’Afrique a donné à l’église des docteurs qui ne ressemblent guère à Tertullien. Pour n’en citer qu’un, l’évêque de Carthage, saint Cyprien, fut un politique habile, qui sut se tirer adroitement de conjonctures délicates et ne poussa rien à l’extrême. Il n’hésita pas à se dérober aux bourreaux, dans une première persécution, parce qu’il jugeait utile de vivre, et s’offrit à la mort, dans la seconde, parce qu’il voulait donner aux fidèles un grand exemple. Cet homme sage, qui n’agissait jamais qu’avec réflexion et mesure, était pourtant un Africain comme Tertullien, ce qui montre que l’influence des milieux n’est pas aussi souveraine qu’on le dit, et que le même pays peut produire à la même époque des opportunistes et des intransigeans.

En réalité, les gens de ce tempérament ne sont tout à fait rares nulle part, même dans l’église, et nous en avons vu de nos jours qui, sans être nés en Afrique, apportaient des humeurs terribles à la défense d’une religion de paix. Le premier trait de leur caractère, c’est qu’ils sont raides, entiers, absolus, qu’ils regardent toute concession comme une faiblesse, qu’au lieu d’éviter les difficultés