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REVUE. — CHRONIQUE.

batailles et des mêlées sanglantes ? On ne sait rien encore ; on peut dire seulement que la question a été manifestement agitée, qu’elle existe, et elle résulte précisément de cette situation qu’on a créée, où le chef de la catholicité, faute d’une indépendance suffisamment, ostensiblement garantie, ne croirait pas possible d’accepter une apparence de solidarité avec une des puissances sous les armes. Si le départ du pape se réalisait, ce serait, à n’en pas douter, un événement considérable, et par sa nature même et par les conséquences qu’il pourrait avoir dans l’état présent du monde. Ce serait la rupture du dernier lien qui unit la papauté à l’Italie, le commencement d’une ère nouvelle pour le pontificat. Les Italiens, qui ne réfléchissent pas, qui sont emportés par leur passion, affecteraient peut-être une certaine satisfaction de se voir délivrés d’un hôte incommode. Ceux qui réfléchissent, qui jugent les événemens en politiques préoccupés de tous les intérêts de leur pays, sont vraisemblablement moins pressés de voir partir le pape. Ils ne peuvent méconnaître que ce départ serait une épreuve des plus graves, qu’il laisserait un vide au Vatican, que la question entrerait dans une phase nouvelle sans être résolue, et s’ils ne le disent pas tout haut, ils avouent tout bas que la politique qui conduit à ces extrémités n’est peut-être pas la meilleure des politiques.

Telle est la marche des choses aujourd’hui en Europe, telles sont les conditions de la plupart des pays qu’on n’a que le choix des complications intérieures ou extérieures, des difficultés et des crises plus ou moins vives. Il n’y a sans doute rien de changé depuis quelque temps dans les affaires de l’empire austro-hongrois. L’Autriche est toujours dans une situation indécise et laborieuse, embarrassée dans sa politique intérieure par le conflit incessant des nationalités diverses qui composent l’empire, engagée dans sa politique extérieure par ses alliances, par ses intérêts qu’elle s’efforce de concilier. Les délégations austro-hongroises qui se sont réunies il y a quelques semaines, qui arrivent maintenant à la fin de leurs délibérations, semblaient promettre quelques éclaircissemens à la suite du discours à demi rassurant, à demi inquiétant de l’empereur François-Joseph. Elles vont se retirer sans avoir rien éclairci, en laissant cette impression qu’on est toujours dans la période d’observation et d’attente. Le comte Kalnoky s’est visiblement étudié à éluder les questions délicates dans ses explications évasives, à tout réserver, à ne rien compromettre, et ceux qui lui ont répondu, qui ont même accusé ses irrésolutions ou ses temporisations, se sont peut-être montrés plus hardis que pratiques. On sent bien que l’Autriche a les regards incessamment tournés, — d’un côté vers la Russie, vers la frontière galicienne, — d’un autre côté vers la Serbie où elle redoute des agitations hostiles, vers la Bosnie, vers la Bulgarie, en un mot, vers cet éternel champ de bataille des Balkans. Elle ne serait pas éloignée, quelques-uns de ses journaux et même de ses orateurs