Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 94.djvu/463

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

non plus songé au vénérable directeur de notre Conservatoire pour organiser une sauterie. Ce n’est ni à cet âge, ni avec ce genre de talent, qu’on donne à danser. M. Ambroise Thomas n’a rien de M. Léo Delibes. Je sais bien qu’il a écrit le joyeux Caïd ; mais il y a longtemps, et l’on dit qu’il en garde toujours quelque remords. Il a écrit aussi le ballet d’Hamlet, mais d’Hamlet je préfère beaucoup d’autres choses au ballet.

Il serait difficile de parler avec admiration de la partition nouvelle de M. Ambroise Thomas ; mais il serait malséant d’en parler sans courtoisie ni déférence. On doit le respect à la vieillesse du talent et peut être encore plus d’égards à de grands souvenirs qu’à d’heureuses promesses. On discute l’œuvre d’un commençant ; on s’incline devant celle d’un maître au terme d’une longue et belle carrière. La musique de M. Ambroise Thomas est ce qu’elle devait être : un peu pâle, un peu grise ; la flamme y manque, mais non pas les reflets, et çà et là tel ou tel morceau : l’introduction, le second pas des libellules, le sommeil de Miranda, les chœurs dans la coulisse, tout cela, par la pureté du style, par le bon goût de l’instrumentation ; s’impose encore à notre estime. Il a plu à M. Ambroise Thomas d’écrire une dernière fois un peu de musique ; j’aurais mieux aimé le voir s’inspirer de poésie que d’entrechats, voilà tout. Il s’est rappelé, un peu plus tard que de saison, les deux, vers de la petite ronde :


Entrez dans la danse !
Voyez comme on danse !


N’est-il pas excusable d’en avoir oublié le commencement :


Nous n’irons plus au bois,
Les lauriers sont coupés !


Notre critique est un peu en retard avec bien des étrangers et des étrangères : une Américaine, une Australienne, des Italiens et des Russes, sans compter les Roumains, les Arabes et les Javanaises ! Cette année d’Exposition est une année d’exotisme. Il y a déjà longtemps que le rôle de Juliette a servi de début de Mlle Eames, une toute jeune et charmante élève de Mme Marchesi, très digne qu’on l’encourage, qu’on lui dise ses qualités et même un peu ses défauts. Avec son profil de jeune Diane et son élégance patricienne, Mlle Eames est bien « la fille du seigneur Capulet. » Avec sa voix de cristal, elle est bien la douce fiancée de Roméo, elle en est moins l’amoureuse épousée. Le premier acte et le duo du jardin conviennent mieux que le duo nuptial à ce timbre clair, mais un peu froid, à cette diction pure, mais encore