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le premier, — où la poussière humaine est soulevée en tourbillons rapides, parce qu’il faut la pétrir pour reconstruire à nouveau ; à un de ces momens ou le vanneur secoue son crible sur l’aire, parce qu’il a besoin de mêler, et d’unifier les hommes pour faire circuler quelque vérité parmi eux. « Il remue tout le genre humain, » disait Bossuet qui avait remarqué l’effet concerté de ces grands mouvemens. Je lisais, il est vrai, et pas plus tard qu’hier, sous la signature d’un des derniers grands maîtres de l’Université, qu’en matière d’histoire « on ne parle pas des enfantillages de Bossuet. » C’est une opinion officielle, je la respecte, elle m’ébranle ; et pourtant ce pauvre homme, — c’est Bossuet que je dis, — avait un regard de quelque étendue sur les affaires du monde. Tout en admirant les palais de fer et les triomphes scientifiques de l’Exposition, je ne puis m’ôter de l’esprit que le Discours pour le Dauphin, écrit sans doute aux chandelles, est encore la meilleure Histoire à lire sous nos lampes Edison.


LES FEUX ET LES EAUX.

On m’excusera si je ne cherche pas de transition pour passer de Bossuet aux fontaines lumineuses. Avec un peu de subtilité la chose souffrirait arrangement, car il aimait les allées superbes où les jets d’eau ne se taisaient ni jour ni nuit, dans les jardins de M. le Prince. Mais il est plus simple de dire qu’après l’étude attentive et les pensées sérieuses du matin, le soir nous doit le délassement quotidien. Il apporte l’indulgence et l’illusion. Sur ces toitures vitrées, le crépuscule, a jeté un glacis d’argent ; comme il s’assombrit, des lueurs naissent sur tout le pourtour de l’enceinte ; froides et blanches d’abord, bientôt avivées par les ténèbres tombantes ; elles courent le long des façades et ruissellent en nappes jaunes dans les parterres. Les fleurs se réveillent, avec des tons plus pâles, sous l’essaim de lucioles qui brillent entre les massifs et au ras des gazons ; d’autres fleurs, artificielles, mettent leur mensonge dans le feuillage des magnolias, pétales de verre animés par l’arc incandescent. Les frontons se confondent en un seul palais, au reflet des feux qui les éclairent ; les édifices répréhensibles se transfigurent et s’harmonisent ; les lignes d’une architecture idéale surgissent, gravées au trait sur le fond noir. Par un burin lumineux. Vu ainsi, le Trocadéro réjouit l’œil qu’il affligeait. Le dôme des industries a donné le signal de l’illumination des guirlandes de perles électriques s’enroulent autour de sa coupole, les lampes de l’intérieur rayonnent à travers la large baie, par où le regard