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La mythologie grecque fournissait un cadre merveilleux pour le développement d’un pareil don. Nulle part, Keats ne devait trouver plus de faciles et charmantes occasions de personnifier l’adolescence inquiète, la beauté triomphante, et l’amour, « dieu du sang qui brûle, des cheveux défaits, des seins nus qui palpitent. » Cette Grèce des contemporains de Shakspeare, des Marlowe, des Greene et des Herrick ; cette Grèce qu’il voyait à travers quelques imitateurs de Lycophron et de Callimaque, à travers la Fidèle bergère de Fletcher et l’Homme dans la lune de Drayton ; cette Grèce un peu conventionnelle et affadie, qu’il reconstituait d’après Lemprière, tel a été le point de départ de Keats. Il ne savait pas le grec ; il n’a cherché les élémens de son Endymion ni dans Théocrite, ni dans Apollonius de Rhodes, ni dans Lucien ou Pausanias, qui ont tous parlé de cette même légende. Sur quelques élémens empruntés à Lemprière et aux poètes du XVIe siècle, il a brodé une fable, à laquelle viennent s’en mêler plusieurs autres : celle de Pan, celle de Vénus et Adonis, celle d’Alphée et d’Aréthuse, celle de Glaucus et de Scylla. De tout cela, enrichi et développé, il a formé une œuvre éclatante, luxuriante et débordante, où l’imagination prédomine aux dépens de la pensée.

Sur les flancs du Latmos, dans une forêt, des bergers célèbrent la fête de Pan. Le poète nous décrit longuement la pompe des cortèges et des cérémonies religieuses. Il y a beaucoup de fraîcheur et de charme dans ce début : il y a aussi, pour tout dire, un peu de mièvrerie : ces vierges pâlissent et tremblent trop aisément ; ces bergers « bien vêtus » et portant « des flûtes à bout d’ébène » nous font songer à des bergers d’églogues, dans le goût du siècle précédent. Il me semble qu’on n’a pas assez noté les origines de la poésie de Keats : elle n’est pas si entièrement originale qu’on veut bien le dire. Comme il y a du Parny en Chénier, il y a du Beattie en lui. Un poète, si personnel qu’on le suppose, n’échappe guère à certaines influences, qu’il lui faut subir avant de les dépasser, et il n’est pas difficile d’en retrouver plusieurs dans Endymion, qui rattachent le poème au XVIIIe siècle par les racines. Cela dit, il faut ajouter bien vite que ni Beattie, ni Thompson, ni aucun prédécesseur de Keats n’eût écrit ce magnifique hymne à l’an, qui est comme la perle du premier livre :

« O toi qui écoules le bruit clair que font les ciseaux, tandis que, de temps à autre, vers ses compagnons tondus, un bélier s’en retourne en bêlant ; toi qui sonnes du cor, quand les sangliers au sauvage boutoir, qui ruinent les tendres épis, mettent en rage notre chasseur ; toi qui, de ton souffle, protèges nos fermes, pour en écarter les nielles et tous les maux qu’amène la tempête ; auteur