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valeur des sculptures du Parthénon, rapportées de Grèce par lord Elgin ; encore ne l’a-t-il fait que la plume en main. Car les copies qu’il en a données sont, dit-on, médiocres. Avec tous ses défauts, avec sa rhétorique, son ton déclamatoire, sa personnalité débordante, Haydon n’en a pas moins été un utile ami pour Keats. Il l’a initié à la sculpture grecque : il l’a soutenu dans plus d’une défaillance. Si l’on ne peut s’empêcher de sourire en voyant son nom associé à ceux de Wordsworth et de Raphaël dans un sonnet de Keats, il n’en est pas moins vrai que son amitié pour l’auteur d’Endymion le fera vivre.

Si à Leigh Hunt et à Haydon on ajoute quelques jeunes gens, comme Cowden Clarke ou John Hamilton Reynolds, qui plus tard se firent un nom honorable dans les lettres, et Shelley, que Keats rencontra plusieurs fois en 1817, mais pour lequel il ne se sentit jamais une grande sympathie (leurs natures étaient trop foncièrement différentes), on connaîtra les principaux membres du cercle où il vivait. Encouragé par eux, il se décida à publier, en mars 1817, son premier volume. Ce recueil, qui parut sans autre titre que celui de « Poèmes, par John Keats. » avec une dédicace à Hunt, renfermait, outre un certain nombre de sonnets, des épîtres a trois amis et plusieurs fragmens, dont le plus long intitulé : le Sommeil et la Poésie, est aussi le plus intéressant, lui dépit d’un article sympathique de Hunt dans sa revue et de l’enthousiasme débordant de Haydon, comparant la dernière pièce du recueil à « un éclair qui ferait trembler l’humanité, » le livre n’eut aucun succès. En 1817, l’attention du public anglais était toute à Thomas Moore, à Walter Scott, à Byron surtout, qui venait de quitter l’Angleterre avec éclat pour n’y revenir jamais. Elle ne daigna pas se tourner vers l’œuvre de ce débutant, avec qui son éditeur se hâta de rompre toute espèce de relations.

Keats n’était pas homme à se laisser arrêter par un premier échec. Il se remit sans tarder au travail et, afin de trouver le loisir et la solitude qu’il jugeait nécessaires, il partit, en avril 1817, pour l’île de Wight. On peut dire qu’à partir de ce jour jusqu’à celui où il rencontra Fanny Brawne, la poésie fut toute la vie de Keats. Toutes ses lettres nous le montrent en proie à une préoccupation dominante, la littérature. Pour un peu, on serait tenté de trouver cette maîtresse bien exigeante, tant elle l’absorbe et le rend indifférent à tout ce qui n’est pas elle. Dès son arrivée à Wight, il écrit à Reynolds : « Je sens que je ne puis plus me passer de la poésie, de la poésie éternelle : il ne me suffit pas de la moitié du jour, — il me faut tout le jour. J’ai commencé avec un peu, mais l’habitude a fait de moi un léviathan. J’étais tout frémissant de n’avoir