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à la façon du siècle précédent, en religion, il était en hostilité déclarée avec Wordsworth et Southey tant pour leur « apostasie » politique que pour l’impulsion qu’ils avaient donnée à la reforme littéraire. Cette réforme, Leigh Hunt la voulait aussi ardemment que Wordsworth, mais il la voulait autre. La versification de Wordsworth, surtout, lui semblait pleine encore d’artifice et de convention. Il rêvait une forme plus libre, plus souple, plus rompue à toutes les nuances, à tous les caprices de la pensée. Il ne réussit qu’à écrire un poème d’une imagination brillante, abondant en inventions gracieuses et en traits charmans, mais plein aussi de négligences voulues et affectées et remarquable dans son ensemble par une sorte d’allure débraillée du fond comme de la forme. Ce poème, l’Histoire de Rimini, est caractéristique de ce qu’on appela alors la Cockney-school of poetry, l’école londonienne, qui, par son ton plus libre et volontiers vulgaire, s’opposait à l’école rêveuse, idéaliste et religieuse des Lakists.

L’influence de Hunt, tant en littérature qu’en poésie, fut grande sur Keats. À ce moment de sa vie, Keats était robuste, confiant dans son avenir, ami du plaisir et de la société : « Il était, nous dit un de ses camarades de ce temps, de l’école sceptique et républicaine, se faisait l’avocat des nouveautés qui se répandaient alors et critiquait volontiers les institutions établies. » D’ailleurs, cette fièvre de libéralisme fut courte : la politique n’a jamais tenu une grande place dans sa vie. Il est l’un des rares poètes de ce temps, peut-être le seul sur qui la révolution n’eut aucune influence. A la différence d’un Shelley ou d’un Byron, il s’est tenu tout à fait à part des grandes luttes contemporaines. Il est, à vrai dire, resté toute sa vie libéral dans l’âme. Aussi bien que Shelley, il a maudit les tyrans et attendu l’heure du relèvement des peuples ; mais cet espoir n’est pas entré dans sa poésie. Il a tenu obstinément séparés ces deux domaines de sa pensée et n’a jamais permis à la politique d’empiéter sur l’art.

En revanche, il a combattu aux côtés de Leigh Hunt dans la bataille littéraire. Comme lui, il méprisait Pope et se nourrissait de Spenser. Comme lui, il voyait dans la poésie une œuvre surtout d’imagination, l’art d’évoquer de belles formes en vers sonores et brillans. Il se croyait tenu, vers ce temps, de lancer, lui aussi, sa déclaration de guerre à ce qu’on nommait dédaigneusement, autour de lui, l’école française, celle des Pope et des Dryden., Parlant des poètes du XVIIIe siècle, il s’écriait en vers ronflans : « Mille artisans de vers portaient alors le masque de la poésie. Race maudite et impie ! qui blasphémait le dieu brillant de la lyre et qui n’en savait rien ! Non, ils allaient, brandissant un pauvre étendard décrépit, orné de misérables devises et portant en grandes lettres le nom