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enchantement dans ce monde magique de la chevalerie, des nains et des châtelaines. Il en lut connue affolé. La forme de Spenser surtout le ravissait : certaines épithètes le faisaient se pâmer : il était, dès lors, comme il l’a dit de lui-même plus tard, « un amant des belles phrases. » Dans son enthousiasme, il s’essayait à imiter la strophe spensérienne, et il a réimprimé lui-même, dans son premier recueil, une très heureuse et brillante imitation de ce genre.

Une circonstance inattendue allait lui permettre de se livrer librement à ses goûts poétiques. En 1814, il se brouilla avec le médecin d’Edmonton, son maître, et, âgé de dix-neuf ans à peine, vint s’installer à Londres pour y suivre des cours de médecine. Il vivait avec ses deux frères, et, pendant quelque temps encore, fut un étudiant appliqué et studieux : il prit même un grade et fut attaché à Guy’s Hospital. Mais peu à peu il se dégoûtait de la médecine : des distractions lui venaient pendant les leçons : « l’autre jour, pendant le cours, écrivait-il à un ami, un rayon de soleil entra dans In chambre et avec lui toute une troupe de créatures qui flottaient dans la lumière : et elles m’entraînèrent avec elles vers Obéron et le pays des fées. » Peu à peu, les visites des esprits se firent plus fréquentes. Keats finit par céder à leur appel. Son caractère impressionnable le rendait, d’ailleurs, impropre à l’exercice de la médecine, et, les opérations le faisaient trembler. Enfin, il avait formé récemment d’intéressantes et utiles relations littéraires qui allaient achever de l’engager dans une voie nouvelle.

Au premier rang de ces dernières, il faut citer un écrivain qui prit rapidement une grande influence sur la direction de sa vie et de ses idées : je veux parler de Leigh Hunt, surtout connu à l’étranger par le livre qu’il publia, en 1828, sur lord Byron. Leigh Hunt était, vers 1817, une manière de personnage littéraire et politique. Vif, audacieux, séduisant, grand remueur d’idées, Hunt personnifiait les tendances libérales et françaises, qui, après avoir suscité en 1789 l’enthousiasme du monde lettré, étaient tombées, depuis les excès de la Révolution et depuis Napoléon, dans un discrédit presque universel. Wordsworth, Southey, Coleridge, notamment, après avoir été les champions les plus ardens des idées nouvelles, avaient passé brusquement et définitivement au camp conservateur. Pour reprendre dans toute leur pureté les idées de Godwin et de Holcroft, ces révolutionnaires de la première heure, il n’y avait guère, en 1817, que des irréguliers de la littérature, comme Hunt ou Shelley. Hunt dirigeait une revue, l’Examiner : quelques attaques vives contre le régent lui avaient valu deux années de prison, qui, vaillamment et même gaîment supportées, n’avaient pas peu contribué à augmenter son prestige. Profondément libéral en politique comme en littérature, sceptique et optimiste,