Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 94.djvu/352

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les langues des hommes futurs et dont les voix unies formaient un concert parfait. Ses fruits abondans donnaient aux initiés qui s’en nourrissaient la connaissance des métaux, des pierres, des plantes, ainsi que des lois physiques et des lois morales ; mais ils étaient de flamme et ceux qui craignaient la souffrance et la mort n’osaient les porter à leurs lèvres. Or, ayant écouté docilement les leçons du serpent, Eve s’éleva au-dessus des vaines terreurs et désira goûter aux fruits qui donnent la connaissance de Dieu. Mais, pour qu’Adam, qu’elle aimait, ne lui devînt pas inférieur, elle le prit par la main et le conduisit à l’arbre mystérieux. Là cueillant une pomme ardente, elle y mordit et la tendit ensuite à son compagnon. Par malheur, Iaveh qui se promenait d’aventure dans le jardin les surprit et, voyant qu’ils devenaient savans, il entra dans une effroyable fureur. Rassemblant ses forces, il produisit un tel tumulte dans l’air inférieur que ces deux êtres débiles en furent consternés. Le fruit échappa des mains de l’homme et la femme, s’attachant au cou du malheureux, lui dit : « Je veux ignorer et souffrir avec toi. »

Iaveh triomphant maintint Adam et Eve et toute leur semence dans la stupeur et dans l’épouvante. Son art, qui se réduisait à fabriquer de grossiers météores, l’emporta sur la science du serpent musicien et géomètre. Il enseigna aux hommes l’injustice, l’ignorance et la cruauté et fit régner le mal sur la terre. Il poursuivit Caïn et ses fils, parce qu’ils étaient industrieux ; il extermina les Philistins parce qu’ils composaient des poèmes orphiques et des fables comme celles d’Esope. Il fut l’implacable ennemi de la science et de la beauté, et le germe humain expia pendant de longs siècles, dans le sang et les larmes, la défaite du serpent ailé.

Heureusement il se trouva parmi les Grecs des hommes subtils, tels que Pythagore et Platon, qui retrouvèrent, par la puissance du génie, les figures et les idées que l’ennemi d’Iaveh avait tenté vainement d’enseigner à la première femme. L’esprit du serpent était en eux ; c’est pourquoi le serpent, comme l’a dit Dorion, est honoré par les Athéniens. Enfin, dans des jours plus récens, parurent, sous une forme humaine, trois esprits célestes, Jésus de Galilée, Basilide et Valentin, à qui il fut donné de cueillir les fruits les plus éclatans de cet arbre de la science dont les racines traversent la terre et qui porte sa cime au faite des cieux. C’est ce que j’avais à dire pour venger les chrétiens, à qui l’on impute trop souvent les erreurs des Juifs.

DORION.

Si je t’ai bien entendu, Zénothémis, trois hommes admirables, Jésus, Basilide et Valentin, ont découvert des secrets qui restaient