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ni le compas ni la lyre, et qu’il ignorait également la science qui commande et l’art qui persuade, il effrayait ces deux pauvres enfans par des apparitions difformes, des menaces capricieuses et des coups de tonnerre. Le serpent eut pitié d’eux et résolut de les instruire afin que, possédant la science, ils ne fussent plus abusés par des mensonges. A l’insu d’Iaveh, qui prétendait tout voir, mais dont la vue, en réalité, n’était pas bien perçante, il s’approcha des deux créatures et leur enseigna la sagesse. Quand il en vint à exposer les vérités les plus hautes, celles qui ne se démontrent pas, il reconnut qu’Adam, pétri de terre rouge, était d’une nature trop épaisse pour percevoir ces subtiles connaissances et qu’Ève, au contraire, plus tendre et plus sensible, en était aisément pénétrée. Aussi, résolut-il de l’entretenir seule, en l’absence de son mari, afin de l’initier la première...

DORION.

Souffre, Zénothémis, que je t’arrête ici. J’ai d’abord reconnu, dans le mythe que tu nous exposes, un épisode de la lutte de Pallas Athéné contre les géans. Iaveh ressemble beaucoup à Typhon et Pallas est représentée par les Athéniens avec un serpent à son côté. Mais ce que tu viens de dire m’a fait douter tout à coup de l’intelligence ou de la bonne foi du serpent dont tu parles. S’il avait vraiment possédé la sagesse, l’aurait-il confiée à une petite tête femelle, incapable de la contenir ? Je croirai plutôt qu’il était, comme Iaveh, ignorant et menteur, et qu’il choisit Eve parce qu’elle était facile à séduire et qu’il supposait à Adam plus d’intelligence et de réflexion.

ZÉNOTHÉMIS.

Sache, Dorion, que c’est, non par la réflexion et l’intelligence, mais bien par le sentiment, qu’on atteint les vérités les plus hautes et les plus pures. Aussi les femmes qui, d’ordinaire, sont moins réfléchies, mais plus sensibles que les hommes, s’élèvent-elles aussi plus facilement à la connaissance des choses divines. En elles est le don de prophétie et ce n’est pas sans raison qu’on représente quelquefois Apollon Citharède et Jésus de Nazareth vêtus, comme des femmes, d’une robe flottante.

Le serpent initiateur fut donc sage, quoi que tu dises, Dorion, en préférant au grossier Adam, pour son œuvre de lumière, cette Eve plus blanche que le lait et que les étoiles. Elle l’écouta docilement et se laissa conduire à l’arbre de la science dont les rameaux s’élevaient jusqu’au ciel et que l’esprit divin baignait comme une rosée. Cet arbre était couvert de feuilles qui parlaient toutes