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Thaïs, surprise et troublée, demanda à un diacre pourquoi ils faisaient ainsi.

— Ne sais-tu pas, femme, lui répondit le diacre, que nous célébrons aujourd’hui la mémoire bienheureuse de saint Théodore le Nubien qui souffrit pour la foi au temps de Dioclétien, empereur ? Il vécut chaste et mourut martyr, c’est pourquoi, vêtus de blanc, nous portons des roses rouges à son tombeau glorieux.

En entendant ces paroles, Thaïs tomba à genoux et fondit en larmes. Le souvenir à demi éteint d’Ahmès se ranimait dans son âme. Sur cette mémoire obscure, douce et douloureuse, l’éclat des cierges, le parfum des roses, les nuées de l’encens, l’harmonie des cantiques, la piété des âmes jetaient les charmes de la gloire. Thaïs songeait dans l’éblouissement :

— Il était bon, et voici qu’il est grand et qu’il est beau ! Comment s’est-il élevé au-dessus des hommes ? Quelle est donc cette chose inconnue qui vaut mieux que la richesse et que la volupté ? Elle se leva lentement, tourna vers la tombe du saint qui l’avait aimée ses yeux de violette où brillaient des larmes à la clarté des cierges ; puis, la tête baissée, humble, lente, la dernière, de ses lèvres où tant de désirs s’étaient suspendus, elle baisa la pierre de l’esclave.

Rentrée dans sa maison, elle y trouva Nicias qui, la chevelure parfumée et la tunique déliée, l’attendait en lisant un traité de morale. Il s’avança vers elle les bras ouverts :

— Méchante Thaïs, lui dit-il d’une voix riante, tandis que tu tardais à venir, sais-tu ce que je voyais dans ce manuscrit dicté par le plus grave des stoïciens ? Des préceptes vertueux et de fières maximes ? Non ! Sur l’austère papyrus je voyais danser mille et mille petites Thaïs. Elles avaient chacune la hauteur d’un doigt, et pourtant leur grâce était infinie et toutes étaient l’unique Thaïs. Il y en avait qui traînaient des manteaux de pourpre et d’or ; d’autres, semblables à une nuée blanche, flottaient dans l’air sous des voiles diaphanes. D’autres encore, immobiles et divinement nues, pour mieux inspirer la volupté, n’exprimaient aucune pensée. Enfin, il y en avait deux qui se tenaient par la main, deux si pareilles qu’il était impossible de les distinguer l’une de l’autre. Elles souriaient toutes deux : La première disait : « Je suis l’amour.» L’autre « Je suis la mort. »

En parlant ainsi, il pressait Thaïs dans ses bras, et, ne voyant pas le regard farouche qu’elle fixait à terre, il ajoutait les pensées aux pensées sans souci qu’elles fussent perdues :

— Oui, quand j’avais sous les yeux la ligne où il est écrit : « Rien ne doit te détourner de cultiver ton âme », je lisais : « Les