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géographiques d’une mobilisation péninsulaire, avec l’insuffisance du matériel des chemins de fer, avec l’encombrement de lignes dont la plupart n’ont qu’une seule voie, sans parler du danger de voir couper les ferrovie du littoral. Les Italiens seraient encore au pied des Alpes que le sort de la guerre pourrait être décidé dans les plaines de l’est. Ce qui courrait le plus de risques, ce serait l’Afrique française ; mais encore, le débarquement d’une armée sur la côte berbère est-il une opération plus compliquée qu’au temps des Scipions ; et les destinées de l’Afrique se décideraient en Europe, entre Français et Allemands. Les grandes batailles auraient chance d’être livrées sans les Italiens. Pour donner la main aux Allemands, par-dessus les Alpes, ils ont, il est vrai, un chemin, la Suisse ; mais la route est barrée par les traités ; et si pareille barrière n’arrête pas les Italiens, ils trouveront, au haut du Gothard, du Simplon, du Saint-Bernard, un vaillant petit peuple qui leur fera faire halte. Il ne nous déplaît pas, quant à nous, de voir les alliés de l’Italie menacer la neutralité suisse ou belge. Cela montre à tous de quel côté est en Europe le sentiment du droit et le respect de la liberté des peuples. Pour s’y tromper, il faut qu’un Italien ait oublié les traditions du Risorgimento.


Une guerre entre la France et l’Italie ! Bien coupables, devant la civilisation, les hommes qui nous mettent en face de pareille perspective ! Une guerre ! pourquoi ? — Il nous faut terminer par où nous avons commencé. Qu’y a-t-il donc d’inexpiable entre les deux nations ? Est-ce Tunis, la seule acquisition subeuropéenne de la France à une époque où l’Italie, la Prusse, l’Autriche, la Russie ont toutes reculé leurs frontières ; Tunis, qu’à Berlin M. de Bismarck et lord Beaconsfield offraient à la France comme une fiche de consolation ? Les Italiens oublient que, sans l’imprudence de leur gouvernement ou de leurs agens, nos soldats ne camperaient point au pied du Bardo. Laisser les Italiens occuper l’étroite régence tunisienne, c’était compromettre l’Algérie et nous exposer à une guerre avec eux pour la possession de Bône ou de Constantine. Sommes-nous donc à l’âge où le vieux nom d’Afrique ne désignait que l’angle de la Berberie ? Tunis n’est ni l’Afrique, ni la Méditerranée ; sur le continent noir, comme sur la mer bleue, il y a place pour d’autres, à côté de nous. Notre frontière algérienne assurée par la marche de Tunis, personne en France ne songe à étendre la main sur Tripoli, ou sur le Maroc. Si la Tripolitaine doit revenir à un état européen, c’est à l’Italie. Mais il ne nous appartient pas de disposer de ce qui n’est point à nous. Quels obstacles l’Italie a-t-elle rencontrés, de notre part, dans ses entreprises coloniales ? ive l’avons-nous pas, sur la Mer-Rouge, laissée s’établir