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perspectives, doive avoir pour premier souci d’éviter tout conflit. Chacun le sent au dehors ; un homme que les Italiens considèrent, à bon droit, comme leur ami, M. Gladstone, le constatait récemment. Ce que « cet état de choses recommande à l’Italie, écrivait l’ancien premier, faisant allusion à la question romaine, c’est une politique générale modeste et réservée, plutôt qu’une politique d’ambition et de parade : a general policy rather of modesty and réserve than of ambition and display[1]. Cette politique de modestie et de réserve, conseillée par M. Gladstone, est-ce bien celle que suivent nos voisins ?

« L’Italie, répondent les Italiens, en contractant des alliances, cherche seulement à prendre ses sûretés. Si les hommes qui regrettent la chute de la royauté papale ne sont pas de force à entraîner la France dans une guerre contre nous, la France peut nous faire la guerre pour un autre motif, pour essayer ses armes, pour relever son prestige. Elle a de la vanité, elle aime la gloire, elle ne voudra pas rester indéfiniment sous le coup de Wœrth et de Sedan, et, n’osant s’attaquer à ses voisins des Vosges, elle s’en prendra à ses voisins des Alpes. » — Ce qu’il y a de curieux, c’est que certains Français tiennent le même langage de l’Italie, lui prêtant des sentimens analogues. Écoutez-les. « L’indépendance italienne, disent-ils, s’est mal faite ; le sentiment national en souffre. Elle a été le prix des victoires d’autrui, les Italiens n’y ont contribué que par leurs délaites ; ils en gardent une blessure toujours saignante. La jeune année royale brûle d’effacer Lissa et Custozza ; il lui faut une guerre pour sacrer ses trois couleurs, et, comme vers l’est le veto de Merlin lui barre le chemin, c’est à l’ouest, sur le dos des Français qu’elle compte faire ses preuves. »

Les deux raisonnemens se valent ; mais, des deux, le plus faux n’est peut-être pas celui qui touche l’Italie. Certaines lettres d’officiers d’Abyssinie montrent que l’armée italienne a aussi ses velléités belliqueuses. Elle attend, avec impatience, le moment de signaler Vitalico calore. Elle aspire à se mesurer avec un adversaire digne d’elle. Cela est assez naturel chez une armée. Les armées sont faites pour la guerre. Un pays qui laisserait la direction de sa politique à ses officiers ne demeurerait pas longtemps en paix. Entre l’Italie et la France, il y a toutefois cette différence que l’Italie, étant plus jeune et ayant, en quelque sorte, sa réputation militaire à établir, est naturellement plus portée à souhaiter des luttes où cueillir des lauriers ; ceux des Scipion, des César, des Trajan ne lui semblent pas assez frais. La France, au contraire, est vieille ; elle a, depuis trois ou quatre siècles, remporté bien des couronnes, elle sait ce que

  1. The Ninetenth Century ; june 1889.