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ouvertement. Les élections les plus récentes, colles de M. Imbriani notamment, ont été une protestation contre elle. Il faut dire que la froideur de nombre d’Italiens s’adresse moins à Berlin qu’à vienne. On subit l’alliance de l’Autriche, parce qu’elle est la condition de l’alliance de l’Allemagne. C’est la Prusse qui réunit, les deux adversaires de 1848, 1859 et 1866. Habsbourg et Savoie ne se donnent la main que dans le sein du Hohenzollern. Le gouvernement de Rome a peine à faire taire les revendications de l’Italia irredenta. Les patriotes sont disposés à lui reprocher de se faire le geôlier de Trente et de Trieste. Si les Italiens convoitent des territoires en dehors de l’Italie officielle, leurs regards se dirigent en effet beaucoup plus vers les Alpes orientales que vers les Alpes occidentales. Un Français aurait mauvaise grâce à ne pas le reconnaître : il n’y a nulle agitation dans la Péninsule pour Nice ou la Savoie, que l’Italie a laissé se donner librement à la France. Il n’en est pas de même de Trieste et de Trente, deux villes presque également italiennes de mœurs et de sentimens. Il en résulte que les revendications nationales de l’Italie se dirigent spontanément vers le territoire de son alliée officielle. C’est là une situation singulière, d’autant que, s’il est permis aux Italiens de rêver quelque combinazione leur permettant d’annexer le Trentin, ils savent que l’Allemagne ne veille guère moins que l’Autriche sur le golfe de Trieste.

L’Autriche est, du côté italien, le point faible de la triple alliance. Aux yeux du politique qui envisage la situation générale de l’Europe, l’existence de l’Autriche-Hongrie est une garantie d’indépendance pour l’Italie. La détruire, même pour avoir une part de ses dépouilles, serait œuvre de téméraire. Mais les peuples n’ont pas la vue longue ; ils voient à peine a quelques lieues au-delà de leurs frontières. Quant à nous, Français, si nous nous mêlions de la triple alliance, ce n’est point de l’Autriche. La France, depuis 1815, n’a jamais eu d’affaire avec l’Autriche que pour les beaux yeux de l’Italie. Depuis que les schwarz-gelb sont hors de la péninsule, nous n’avons rien à démêler avec eux. Nous ne leur en voulons même point d’avoir lié partie avec les vainqueurs de Kœnigsgrætz ; nous savons qu’ils n’avaient guère le choix. L’Autriche-Hongrie ne nous inspire ni ressentiment, ni inquiétude ; nous sommes persuadés que la Holburg redoute les complications plus qu’elle ne les recherche. Pour un peu, la présence de l’Autriche dans la triple alliance nous rassurerait au lieu de nous effrayer. Ce n’est pas que la presse ou les hommes d’état de Vienne ou de Pesth nous montrent quelque bienveillance. Loin de là, ils ne se croient même pas toujours obligés d’être polis envers nous. Sur le Danube aussi, on goûte peu la république ; on en devient, à l’occasion, injuste pour la France. On se rappelle