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toutes ses fautes, et parfois à cause de ses fautes, la république française a gardé les sympathies des républicains, des radicaux, des révolutionnaires, ce qui eût suffi à refroidir envers elle le Quirinal. Ce n’est point que l’Italie officielle souhaite la reconstruction des Tuileries et le rétablissement d’une monarchie chez nous ; elle sait bon gré à la république de contribuer à l’isolement de la France ; mais, en même temps, elle trouve qu’une république dans une ancienne monarchie est de mauvais exemple. Puis, tout préjugé dynastique mis de côté, comment lier partie avec un pays dont l’instabilité gouvernementale semble la loi ? — Ce sont les Italiens qui parlent, et, en gens prudens, ils se préoccupent des coups de tête que leur imagination prête à la France.

Pour un gouvernement républicain, le premier intérêt d’un pays, c’est le maintien de la république. On nous le répète assez, en France, nous donnant à entendre que, pour une si noble fin, tout est permis, y compris un coup d’État. Les gouvernemens monarchiques raisonnent à peu près de même, avec cette différence que, pour eux, l’intérêt de l’Etat, c’est, avant tout, l’affermissement de la monarchie. Il faut quelque naïveté pour s’étonner que la royauté italienne ait fait meilleur usage à la monarchie prussienne qu’à la république française. Une seule chose peut surprendre, c’est que l’Italie, un pays avisé s’il en fut, ait été jusqu’à s’enchaîner à l’Allemagne. Elle ne s’est pas sentie assez forte pour oser demeurer isolée ; elle a manqué de foi en elle-même ; elle a cru que devant les périls de l’Europe, il lui fallait s’étayer sur une alliance, et, obligée de choisir, elle a choisi Berlin, — d’autant que Berlin lui paraissait le côté du plus fort.

Cette alliance, nous avons dit qui l’a préparée : la droite constitutionnelle, le parti modéré, celui qui, tout en pactisant avec la révolution, n’a jamais varié dans ses préférences monarchiques, le parti de Cavour, de La Marmora, de Minghettî. M. Minghetti, avec sa haute intelligence, ne dissimulait point qu’une des principales raisons de l’alliance franco-allemande, c’était le régime actuel de la France. Je l’ai entendu l’exprimer, à Rome, en 1884, comme une chose toute naturelle, et il n’y a guère de doute qu’on la regarde ainsi au Quirinal. La gauche, pour se maintenir au pouvoir, a dû accepter cette orientation de la politique italienne. S’y refuser eût été indisposer la couronne qui, à Rome, de même que dans toutes les monarchies continentales, surveille de préférence la politique étrangère ; et, comme il arrive souvent, les vieux mazziniens ou garibaldiens se sont montrés d’autant plus chauds pour l’alliance impériale qu’ils avaient leurs anciennes convictions républicaines à faire oublier. C’est un peu le cas de M. Crispi, on l’a dit à cette