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le pouvoir légal. Mais à qui la faute si le cri de « Vive la paix ! » semble une attaque contre les ministres, ou contre la dynastie ? Assurément ce n’est pas à la France : on ne saurait la rendre responsable de ce qui se dit dans les meetings de Milan. Les discours antibelliqueux, les protestations contre la politique d’armemens à outrance répondent au sentiment populaire : le tort des modérés est d’en laisser le monopole à l’extrême-gauche. Quelques-uns l’ont senti. M. Bonghi présidait, il y a quelques mois, un congrès de la paix. L’Italie aurait le suffrage universel, que les démonstrations pacifiques se multiplieraient du Mont-Rose à l’Etna. Le sentiment du pays, dans toutes les classes, n’est pas douteux ; il tient pour la paix. J’en ai eu une démonstration piquante à Rome même, en février dernier. On jouait, au théâtre valle, une comédie intitulée : Le duc Rome. Ces deux Romes, que l’amour devait réunir, étaient personnifiées par une jeune italienne de famille libérale et un jeune prince romain de famille papaline. Pour faire vibrer, chez le jeune patricien, la fibre patriotique, l’auteur n’avait rien trouvé de mieux que d’imaginer, au cinquième acte, un débarquement de l’étranger, c’est-à-dire des Français, à Civita-Vecchia. Peut-être comptait-il sur ce tableau pour enlever l’enthousiasme de la salle. Il s’était mépris ; au lieu d’applaudir, le public siffla. On dut retirer la pièce. Le plus curieux, c’est que l’inventeur de cette guerre improvisée, le commandeur C…, est un haut fonctionnaire, rien moins que le directeur-général des théâtres et des beaux-arts. Presque tous les adversaires, — Dieu nie garde de dire les ennemis de la France, — appartiennent en effet au monde officiel. C’est par là que la situation est grave. On pourrait, sans trop d’exagération, la résumer ainsi : un peuple ami, un gouvernement hostile.

Nous ne sommes pas, pour notre part, de ces bonnes âmes qui se persuadent que les sympathies des peuples valent mieux que le bon vouloir des gouvernemens. Il est peu sur de se fier au sentiment des peuples ; leurs sympathies ne peuvent toujours s’exprimer, et les gouvernemens ont bien des moyens d’en changer la direction. La vérité, c’est que la malveillance de l’Italie envers la France est toute politique ; par là-même, en un sens, elle est artificielle. L’alliance de Rome et de Berlin est une alliance de cabinets ; c’est, selon les points de vue, sa force et sa faiblesse. Elle repose moins, en réalité, sur des passions ou des intérêts nationaux, que sur des convenances de cours et des calculs de partis.


III

Qu’est donc la triple alliance pour l’Italie ? Quel aimant attire le Quirinal vers Berlin, et quelle force le retient dans l’orbite de la