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LA FRANCE, L'ITALIE
ET
LA TRIPLE ALLIANCE

La situation de l’Europe est peu rassurante ; pour être devenu banal, cela n’en demeure pas moins vrai. Les splendeurs éphémères du Champ de Mars ne nous doivent pas faire illusion. Pendant que les sept ou huit cents jurés de l’Exposition s’apprêtent à décerner aux concurrens de toute nationalité le prix des luttes de l’art et de l’industrie, les peuples en armes continuent leur faction. Du Niémen aux Alpes et des Carpathes aux Vosges, les sentinelles aux aguets prêtent l’oreille. Qu’ont à faire les Alpes dans cette veillée des armes ? Les Vosges ont leur blessure ; des deux côtés des Vosges se tendent des mains qui ont été séparées et qui voudraient se rejoindre. Je ne vois rien de semblable sur les Alpes de la Savoie ou du Dauphiné ; par-dessus leurs têtes blanches, l’on n’entend aucun appel d’un versant à l’autre. Pourquoi leurs gorges se hérissent-elles de forts d’arrêt ; pourquoi les chasseurs alpins s’exercent-ils à escalader leurs sommets ?

Entre la France et l’Allemagne, il y a Sedan et les souffrances de l’Alsace-Lorraine. Entre l’Allemagne ou l’Autriche et la Russie, entre le germanisme et le slavisme, il y a des antipathies nationales, des rivalités de races. Qu’y a-t-il entre la France et l’Italie ? Entre elles, je ne vois pas de sang, — ou, s’il y a du sang, c’est du sang versé en commun, qui cimente, et non qui sépare. Entre elles, je ne vois ni haines de races, ni antagonisme de religions, ni conflit de civilisations. De toutes les nations de l’Europe, ce sont les deux plus voisines par le génie, par les mœurs, par les