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quelques semaines, il y a eu quelque complication particulière, précise, qui a pu motiver des inquiétudes, c’est l’Allemagne qui en a pris l’initiative par cette querelle avec la Suisse, qui est loin d’être finie.

Assurément la situation d’un pays comme la Suisse, qui est un état indépendant et neutre, hospitalier par tradition, ouvert par la nature des choses aux expatriés de toutes les nations, « cette situation est toujours délicate. La Suisse a sûrement bien des devoirs à concilier ; elle a tout à la fois à sauvegarder sa souveraineté, à maintenir ses traditions hospitalières et en même temps à respecter, à faire respecter ses lois, les conditions de sa sécurité, les règles de cette neutralité qui lui fait une place à part dans l’ordre international. Cette conciliation n’est pas toujours facile. Que la Suisse ait eu souvent quelque peine à faire marcher ensemble les prérogatives de sa souveraineté, le droit d’asile qu’elle a toujours généreusement pratiqué, les libertés qui sont l’essence de ses institutions, et ce qu’elle doit à la sûreté des autres états, à sa propre sûreté, au principe même de son existence internationale, c’est trop évident. La Suisse, depuis plus d’un demi-siècle, a eu plus d’une fois à faire face à des embarras nés de cette situation compliquée, à des incidens épineux provoqués soit par des réfugiés compromettans, soit même par des mouvemens intérieurs qui semblaient, au dire de la diplomatie européenne, modifier les conditions primitives de son existence, sanctionnée par les traités. Elle a eu des querelles, même pour un réfugié qui s’est appelé depuis Napoléon III ; elle a été l’objet de remontrances plus ou moins vives, de manifestations collectives, et peu s’en est fallu qu’à une certaine époque, en 1847, une de ces manifestations de la diplomatie européenne ne devint une intervention décidée dans un intérêt de pacification intérieure à la suite d’une guerre civile. La Suisse s’est toujours tirée heureusement d’affaire parce qu’elle a su montrer une habile modération sans rien abandonner de ses droits, parce qu’elle a été aussi quelquefois servie par les circonstances ; elle a fini par sertir de toutes les crises intacte, libre et respectée, invariablement reconnue par toutes les puissances dans son caractère d’état neutre sous la sanction persévérante de l’Europe. Ce qui donne une plus rare et plus dangereuse portée à l’incident nouveau suscité par l’Allemagne, c’est qu’il résume tous les autres, c’est qu’il réveille à l’improviste les questions les plus délicates. D’un seul coup il a remis en doute et la souveraineté de la Suisse, et le droit d’asile, et une neutralité qui jusqu’ici a pu être quelquefois interprétée sans être jamais sérieusement contestée.

Comment s’est engagée cette médiocre ou malheureuse affaire, on le sait déjà. Elle est née des mésaventures de l’agent Wohlgemuth qui a été, il y a quelque temps, en territoire suisse, l’objet de mesures de sévérité prises par le canton d’Argovie, sanctionnées par le gouvernement fédéral. Le cabinet de Berlin a défendu son délégué de police,