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de la respecter, que depuis dix ans on a abusé de tout, qu’on a confondu tous les pouvoirs, que la chambre a voulu jouer à la Convention au petit pied, qu’elle a tout faussé par ses « ingérences perpétuelles et dissolvantes » en toutes choses ; il ne craint pas de déclarer qu’il nous faut « un pouvoir exécutif plus résolu et plus actif, un sénat moins modeste et moins effacé, une chambre moins indiscrète, moins disposée à empiéter sur les attributions d’autrui. » Que dit encore M. Jules Ferry ? Il parle plus que jamais de la nécessité de la paix religieuse. Il défend le budget des cultes, il veut qu’on pratique la tolérance, qu’on respecte les croyances, qu’on cesse toutes ces petites persécutions de rigueurs disciplinaires, de suppressions de traitemens, et il ne laisse pas de convenir que les querelles religieuses n’ont pas servi la république. Rien de mieux, c’est presque un programme complet. Il n’y a qu’un malheur. Si M. Jules Ferry signale bien des fautes à réparer, il ne désavoue rien de ce qui a été le principe des querelles religieuses, de sa politique scolaire. Il la désavoue si peu qu’à cette heure même, devant le sénat, malgré les efforts dévoués et souvent éloquens de M. Léon Say, de M. de Marcère, de M. Bardoux, de M. Buffet, les amis de M. Jules Ferry viennent de faire voter une loi sur les instituteurs primaires, qui a la prétention d’être le couronnement de l’édifice, d’en finir avec les droits des communes et des pères de famille, de faire de l’État le régulateur des esprits et des consciences. Que voulez-vous qu’on pense ? L’équivoque, pour M. Jules Ferry, c’est de parler de la paix religieuse en maintenant tout ce qui a allumé la guerre et peut la perpétuer ; c’est de se présenter comme un conservateur en gardant un lien avec les radicaux qu’il ménage, qu’il se flatte toujours de désarmer par quelque concession opportune.

A leur tour, les conservateurs de la chambre, prenant le rôle de grands électeurs, ne laissent pas, il faut en convenir, d’être dans une situation délicate. Ils se sont réunis dernièrement, sans distinction de nuances. Ils ont mis en commun leurs griefs qui sont après tout les griefs du pays, et ils ont publié leur manifeste, leur programme. Ils ravivent toute cette histoire de la politique de dix ans, et les excès de majorité, et l’altération de toutes les conditions de gouvernement et la magistrature épurée et l’esprit de secte chassant toute idée religieuse des écoles, et les procédés discrétionnaires, et les déficits accumulés, les milliards ajoutés à la dette, — et le Tonkin ! — Soit, c’est le procès d’une politique dont le pays a le droit de se plaindre, dont les abus sont aujourd’hui la force de toutes les oppositions. Seulement on sent bien que les auteurs du manifeste conservateur, en dévoilant une fois de plus le mal, sont un peu embarrassés pour proposer le remède. Ils ne veulent pas paraître prononcer le nom de la République ; ils craignent de prononcer le nom d’un autre régime, parce qu’ils ne s’entendraient plus. En sorte qu’il y a partout une certaine équivoque.