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déterminisme est la loi de la nature, il n’est pas celle de l’humanité ? que l’homme lui-même, quoi qu’on en puisse dire, n’est pas compris sous la définition de l’animal ? que si l’on peut bien faire de son animalité la base physique de sa nature, son humanité ne commence qu’au point précis où quelque chose de différentiel et d’unique s’ajoute à cette animalité pour en changer le caractère ? et que par conséquent, du physique au moral, de l’animal à l’homme, du polype aux sociétés, en concluant du même au même, on tombe dans l’un des pires sophismes où la pensée d’un métaphysicien se puisse laisser entraîner par le mirage des idées pures, la séduction des grandes synthèses, et l’ivresse de l’unité.

Je m’étonne de mon audace ; — et si jamais ces pages doivent passer sous les yeux du « maître, » de l’illustre Adrien Sixte lui-même, je l’entends qui ricane de mépris, à moins qu’il ne me taxe, en haussant les épaules, de « lâcheté, » « d’impertinence, » et de « mauvaise foi. » Ainsi, souvent, en usent avec ceux qui se déclarent moins convaincus qu’eux-mêmes de l’évidence de leurs démonstrations, ces grands amis de la « vérité ; » et après tout, cela même n’est-il pas une assez belle preuve de la sincérité de leurs convictions ? Mais quoi ! dans sa philosophie, l’auteur de la Théorie des passions et de l’Anatomie de la volonté n’en a pas moins oublié que, ni le mot de « volonté » ni celui de « passions » n’ayant de sens hors de l’homme, il faisait de la morale, et non pas de l’histoire naturelle, encore bien moins de la mécanique ou de la géométrie transcendantes. En enseignant à Robert Greslou « qu’il n’y a pour le philosophe ni crime ni vertu, et que nos volitions ne sont que des faits d’un certain ordre régis par de certaines lois, » il lui a dit tout simplement ce que nos maîtres facétieux nous disaient jadis au collège, « qu’il n’était point défendu de fumer, mais seulement de se laisser prendre. » En lui répétant avec Spinosa « que la pitié chez un sage qui vit d’après la raison est mauvaise et inutile, » il lui a tout simplement appris, en s’exceptant lui-même de l’humanité, à ne se servir de ses semblables que comme d’instrumens ou de victimes de ses passions. Et en le débarrassant enfin du remords « comme de la plus niaise des illusions humaines, » — Spinosa, dans son Ethique, a dit encore quelque chose de cela, — il l’a rendu prêt à tout ce que peuvent soulever de criminels désirs dans un jeune homme de vingt ans la fougue de l’âge, la médiocrité de sa condition, le besoin de parvenir, et la fausse conscience de sa supériorité.

Ce ne sont pas, on le voit, de petites questions que M. Paul Bourget a traitées dans son Disciple, et ce ne sont non plus des questions inutiles. Ce sont des questions actuelles, s’il en fut, et ce sont, comme telles, des questions qu’il faut bien qu’on discute… Mais si j’ai tâché de montrer avec quelle franchise et quelle loyauté, quel courage