Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 94.djvu/221

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

encore des ressouvenirs de Stendhal, de Balzac, de Dostoievsky, de Rouge et Noir, de la Recherche de l’Absolu, de Crime et Châtiment. Il y a du Balthazar Claes dans son Adrien Sixte, comme il y a, dans son Robert Greslou, du Julien Sorel et du Raskolnikof. Quoi qu’il ait fait depuis dix ans pour s’affranchir de l’obsession du livre, et pour voir le monde avec ses yeux, je n’oserais affirmer non plus que M. Paul Bourget y ait tout à fait réussi. Ses personnages, beaucoup moins simples, — et plus vrais comme tels, — sont cependant moins « réels » que ceux de M. Daudet, par exemple, ou de M. Zola, qui ne se « tiennent » pas, mais qui sont, mais qui vivent, je ne sais trop comment. Et enfin, si j’ajoute que, dans le Disciple, l’intérêt se divise et pour ainsi dire hésite entre deux ou trois actions, qu’il s’attarde parfois, j’aurai, je pense, indiqué tout ce que l’on peut faire de critiques au roman de M. Paul Bourget. Mais ce qui n’appartient bien qu’à lui, en revanche, et ce que je ne vois guère aujourd’hui que lui qui puisse mettre dans le roman, c’est cette finesse et cette subtilité de psychologie, c’est cette connaissance des mobiles secrets des actions humaines, c’est cette intelligence pénétrante et profonde des questions qu’il y traite. Lorsque M. Daudet, l’an dernier, dans son Immortel, qui de tous ses romans n’est pas le plus immortel, a voulu toucher de certaines questions, c’est être encore bien indulgent de dire qu’il eût mieux fait de n’y pas toucher. Quelques années auparavant, dans la Joie de vivre, quand M. Zola s’était avisé de rivaliser avec Schopenhauer, — dont on parlait beaucoup cette année-là, — son ignorance avait paru plaisante ; et, dans un drame assez sombre, les prétentions philosophiques de l’auteur des Rougon-Macquart avaient mis un rayon de gaité. Mais, dans le Disciple, comme dans tous ses romans, la supériorité de M. Paul Bourget éclate justement aux endroits où M. Daudet et M. Zola tombent au-dessous d’eux-mêmes. Il y est maître. Ces grandes idées dans l’expression desquelles ils bronchent, ils choppent et finissent par demeurer empêtrés, lui, s’y meut avec une souplesse, avec une aisance, avec un plaisir que justifie la nouveauté des effets qu’il en tire. L’observation philosophique, la liaison des effets et des causes, des commencemens et des suites, la description des « états d’âme, » — pour me servir ici de l’une des expressions qu’il a mises à la mode, — la lente et l’insensible modification de ces états eux-mêmes sous l’influence du dehors, voilà son domaine, voilà ce qui fait l’intérêt du Disciple, et voilà pourquoi nous y avons appuyé tout d’abord. Aucun sujet n’était plus « analogue » à la nature du talent et de l’esprit de M. Paul Bourget ; et le Disciple n’est peut-être pas le « plus amusant » de ses romans, — les femmes préféreront toujours Mensonges ou Crime d’amour, — mais il en est le « plus fort. »

Intelligent, vaniteux, et malade, un jeune homme, Robert Greslou,