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Elisabeth la reine sanglante, Brougham un avocat bavard, et d’affirmer « que la célèbre bataille de Waterloo avait attiré sur l’Angleterre plus de honte, plus de malheurs, plus de détresse parmi les classes moyennes, plus de misères parmi les classes ouvrières, plus de dommages de toute sorte que n’en eussent produit cent défaites sur terre et sur mer. » Et après tout était-il si glorieux à Wellington d’avoir vaincu le grand Napoléon, qui, à le bien prendre, n’était « qu’un badaud français ? »

Les méditations abstraites n’étaient pas l’affaire de Cobbett. Toute métaphysique ne lui inspirait que défiance et dégoût. Il avait à la fois un bon sens trop résistant pour épouser des systèmes et l’esprit beaucoup trop borné pour les comprendre. Le peu d’idées générales qu’il possédait, il les avait empruntées à Rousseau. Je ne sais s’il aurait dit que tout est bien sortant des mains de l’auteur des choses, que tout dégénère entre les mains de l’homme. Mais il disait et répétait de sa plus grosse voix que la nature est bonne, qu’elle est la source de tous les vrais biens, que la vertu consiste à se conformer à ses lois, que les besoins artificiels et imaginaires sont le fléau, la peste des sociétés. Il en concluait que le premier des hommes est celui qui se rapproche le plus de la nature, celui qui cultive la terre et pétrit lui-même son pain. Lisez ses Promenades à cheval, lisez son Économie du cottage, vous y verrez que c’est dans les chaumières qu’habite la vraie sagesse comme le vrai bonheur. Mais ce disciple de Jean-Jacques ne peut oublier qu’il est Anglais, c’est une chose qu’on n’oublie jamais, et la chaumière qu’il recommande est une chaumière très bien tenue, une chaumière élégante et confortable. Rousseau disait que la joie est plus amie des liards que des louis ; Cobbett ne méprisait pas les louis, pourvu qu’ils fussent loyalement acquis et arrosés des sueurs d’un honnête homme.

Cobbett n’était pas radical dans le sens qu’on donne aujourd’hui à ce mot. Un radical est un métaphysicien creux, dont le premier principe est qu’une abstraction vaut mieux qu’une coutume et que toutes les nouveautés sont préférables aux vieilleries. Gobbett, tout au contraire, estimait que les hommes d’autrefois l’emportaient sur nous en beaucoup de choses, qu’ils avaient des idées et des mœurs plus conformes à la nature, et il préférait le bon vieux temps au nôtre. Il pensait qu’avant de juger un siècle, il faut s’informer de ce que coûtait alors un mouton gras, une oie grasse, de ce qu’on payait la journée des ouvriers, de la facilité qu’ils avaient à satisfaire leurs vrais besoins et de la répugnance qu’ils éprouvaient à s’en créer de faux. Il aimait à citer un édit rendu sous le règne d’Edouard lequel interdisait aux petites gens de porter des habits de drap coûtant plus de deux francs et demi l’aune et à leurs femmes de se parer de ceintures brodées en argent ou en or. Cet édit prouvait, selon lui, qu’en ce temps-là il y