Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 94.djvu/204

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

extrémités se conjuguaient, pour mieux éclairer le point qu’ils interrogeaient. Ils se posèrent successivement sur d’humbles maisons, des palais, des campagnes lointaines. Je ne pouvais me lasser de suivre leur recherche, tant elle paraissait volontaire et anxieuse. Un instant, ils tirèrent de l’ombre un bois montueux, avec des taches blanches sur le devant ; c’étaient les sépultures du Père-Lachaise, doucement baignées dans cette clarté élyséenne. En se repliant, ils s’arrêtèrent sur Notre-Dame. La façade se détacha, pâle, mais très nette. Dans les tours réveillées, je crus entendre une voix dolente. Elle disait :

« Pourquoi troubles-tu notre recueillement, parodie impie du clocher chrétien ? En vain tu te dresses au-dessus de nous dans ton orgueil : nous sommes fondées sur la pierre indestructible. Tu es laide et vide ; nous sommes belles et pleines de Dieu. Les saints artistes nous ont bâties avec amour ; les siècles nous ont consacrées. Tu es muette et stupide ; nous avons nos chaires, nos orgues, nos cloches, toutes les dominations de l’esprit et du cœur. Tu es fière de ta science : tu sais peu de choses, puisque tu ne sais pas prier. Tu peux étonner les hommes : tu ne peux leur offrir ce que nous leur donnons, la consolation dans la souffrance. Ils iront s’égayer chez toi, ils reviendront pleurer chez nous. Fantaisie d’un jour, tu n’es pas viable, car tu n’as point d’âme. »

La Tour n’est pas muette. Le vent qui frémit dans ses cordes de métal lui donne une voix. Elle répondit :

« Vieilles tours abandonnées, on ne vous écoute plus. Ne voyez-vous pas que le monde a changé de pôle, et qu’il tourne maintenant sur mon axe de fer ? Je représente la force universelle, disciplinée par le calcul. La pensée humaine court le long de mes membres. J’ai le front ceint d’éclairs, dérobés aux sources de la lumière. Vous étiez l’ignorance, je suis la science. Vous teniez l’homme esclave, je le fais libre. Je sais le secret des prodiges qui terrifiaient vos fidèles. Mon pouvoir illimité refera l’univers et trouvera ici-bas votre paradis enfantin. Je n’ai plus besoin de votre Dieu, inventé pour expliquer une création dont je connais les lois. Ces lois me suffisent, elles suffisent aux esprits que j’ai conquis sur vous et qui ne rétrograderont pas. »

Comme la Tour se taisait, les deux grands faisceaux remontèrent, avec un de ces brusques frissons que j’avais déjà observés ; la vibration des molécules lumineuses se changea en ondes sonores, une voix pure s’éleva du fluide subtil :

« Choses d’en bas, choses lourdes, vos paroles sont injustes et vos vues courtes. Vous, pieuses tours gothiques, pourquoi défendez-vous à votre jeune sœur de devenir belle ? Quand les maîtres