cette grande œuvre un de ses ouvriers d’élite, savant ou ingénieur, j’imagine qu’il répondrait à peu près ceci :
« Nous célébrons une révolution scientifique et industrielle qui est à cette heure le facteur le plus considérable de l’histoire générale. Elle a été lentement préparée dans les cabinets d’étude, par plusieurs générations d’hommes de génie, jusque sous le couperet de la guillotine, par un Lavoisier, au bruit du canon de l’Empire, par un Laplace. Elle a passé dans le domaine des applications pratiques grâce au groupe saint-simonien, qui comptera dans le gouvernement effectif de ce siècle plus que tous les pouvoirs officiels. Le mouvement a pris naissance durant les années pacifiques de la monarchie parlementaire ; il s’est développé avec une rapidité prodigieuse sous le second Empire, autoritaire et belliqueux. Après un désastre où l’on croyait voir sombrer notre fortune, au milieu de l’anarchie tranquille et tempérée où nous vivons, il a continué et accéléré son œuvre de transformation universelle. Les politiques de toute couleur, lorsqu’ils prétendent aider ou diriger ce mouvement, nous font l’effet de castors qui maçonneraient leurs digues sur la chute du Niagara. Étant la fonction maîtresse du siècle, il est supérieur à tous les accidens de la vie nationale, de la vie européenne. À intervalles périodiques, le monde du travail ressent le désir de marquer une étape et de constater ses progrès ; de là nos Expositions, toujours agrandies, comme la toise où un enfant robuste mesure sa croissance. Chaque fois, le gouvernement du quart d’heure nous impose son écusson et ses étiquettes ; il rattache notre entreprise aux idées, aux souvenirs qui lui servent d’enseigne. Rien de plus naturel. Comme nous avons besoin du gouvernement, quel qu’il soit, nous lui chantons l’antienne qui lui plaît. Si un autre prenait sa place, il n’y aurait pas un boulon de moins ou de plus dans nos charpentes. Celui d’aujourd’hui est en mauvaise passe, semble-t-il ; je crois bien qu’en nous appelant sur les chantiers, il voulait recommencer l’expédient des ateliers nationaux et bénéficier d’une superbe réclame électorale. Si cela lui réussit, tant mieux pour lui ! sinon, nous continuerons de travailler sur ses petites ruines. Nous nous sommes emparés de l’idée des politiciens ; la France nous a suivis, elle nous a apporté toute sa bonne volonté, tout son génie. Il en est résulté cette création incomparablement belle, qui n’appartient à aucun parti, mais à nous, à la France, à tons. L’Europe ne l’a pas compris : il y a tant de choses que l’Europe ne comprend pas ! »
Ce sceptique, — pour ma part je l’appellerais un croyant, — serait au moins dans le vrai sur un point. L’Exposition est très belle, c’est chose jugée par acclamation. On a eu mille fois raison de la faire à l’image de la France, sérieuse en dessous et gaie en façade,