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mais chacun d’eux représente 250,000 francs ou un lak de roupies.

A quelle cause attribuer ce malaise des finances, ces soulèvemens qui ne se sont produits qu’à la suite d’une annexion facile au début ? Nos voisins ne seraient-ils plus les colonisateurs qu’on nous a donnés longtemps pour modèle ? Leurs actes sont-ils trop rudes, trop oppressifs, dépourvus de cette façon gouailleuse, mais bonne enfant dont le soldat français traite l’Arabe et l’Asiatique ? A cela on peut répondre qu’il n’y a rien d’étonnant à ce que les Birmans n’aiment pas l’étranger qu’ils n’ont ni appelé, ni désiré voir chez eux, et que la manière brutale dont il les gouverne n’est pas faite pour gagner leurs sympathies. La terre est conquise, mais les cœurs ne le sont pas.

Il y a trois ans, aux premiers jours de l’occupation, à un moment où il fallait frapper les esprits de terreur, les Anglais abusèrent des jugemens et des exécutions sommaires. A leurs yeux, tous les Birmans étaient des dacoïts, et comme tous les dacoïts étaient passés par les armes, les Anglais remuaient la haine comme à plaisir. Cette abondance de rebelles à exterminer permit même à un officier, habile photographe, de se procurer la plus épouvantable des collections. Il braquait son appareil sur les condamnés à mort au moment même où le peloton d’exécution les mettait en joue. Ce n’était que lorsque les faces convulsées par la terreur étaient fixées sur la plaque que le commandement de : « Feu ! » se faisait entendre. Se doutait-on que la passion du cliché pût rendre l’homme cruel ? In autre officier, afin d’obtenir d’un rebelle, — reconnu plus tard innocent, — le nom de ses complices, le fit passer par un simulacre de conseil de guerre et un semblant d’exécution. « Avouez ! » s’écria l’officier au moment où les soldats mettaient en joue le malheureux qui tremblait de tous ses membres. Et, en effet, le rebelle, en ce moment suprême, avoua tout ce qu’on voulut ; il nomma des complices en telle abondance que l’officier qui avait inventé cette torture comprit qu’il avait été niaisement barbare. Le vice-roi de l’Inde, ayant eu connaissance de ces deux faits monstrueux, s’empressa d’en punir les héros. La terreur, la torture et les fusillades sont de mauvais moyens de pacification et se retournent contre ceux qui les appliquent.


EDMOND PLAUCHUT.