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jusqu’à terre ; à gauche, un groupe d’officiers portant déployé le drapeau de la Grande-Bretagne ; en l’ace du trône, les femmes accroupies, et, à vingt pas d’elles, une longue file de soldats en tenue de campagne, aux figures martiales et bronzées, gardant une complète immobilité.

Entre temps, les oiseaux chantaient dans les tulipiers en fleurs, se jouaient dans les mimosas odorans, et le soleil, se reflétant aux volutes dorées du pavillon royal, faisait scintiller comme des feux célestes les diamans des reines. Le roi demanda encore un délai de dix minutes pour se recueillir et dire un dernier adieu au palais de ses ancêtres. Elles lui furent accordées ; comme les minutes se prolongeaient, le colonel Sladen s’avança vers le monarque, le flanqua de deux officiers, et lui dit d’un ton sévère d’avoir à le suivre. Cette fois, Thibô obéit. Mais à la porte du palais, il y eut encore une pause, une hésitation suprême de quelques minutes, puis le cortège se mit en marche pour le bateau dans l’ordre suivant : le général Prendergast, le drapeau anglais, l’état-major du général, quatre porteurs d’ombrelles blanches, le roi et ses deux femmes légitimes, la reine mère, des serviteurs portant le bagage royal, le chef des eunuques et les troupes anglaises. A la chute du jour, l’embarquement était terminé, et lorsque le bateau se détacha lentement du rivage pour suivra bientôt à toute vapeur le cours de l’Iraouaddy jusqu’à la mer, le souverain exilé se mit à sangloter, comprenant que c’en était fait à jamais de sa puissance et de son royaume.

L’Angleterre tenait enfin sa proie, proie depuis longtemps convoitée, et, avec elle, un butin énorme. On transporta à bord du bateau à vapeur plusieurs sacs de rubis, de saphirs et de diamans ; cinq berceaux d’or massif ; une statue de même métal incrustée de pierres précieuses, mais avec une telle profusion, qu’il était impossible d’en toucher l’or du doigt ; un nombre infini de coupes en or également, coupes de toutes les grandeurs et de toutes les formes, et, pour en finir, des laks de roupies, c’est-à-dire plusieurs millions de francs.


V

L’annexion d’une partie de la Birmanie en 1852 devait fatalement aboutir à l’entière annexion de 1885. Peut-être est-ce un tort que cette assimilation complète, et mieux eût valu pour la Grande-Bretagne d’agir comme nous l’avons fait en Annam, c’est-à-dire placer sur le trône birman un prince indigène en ne lui laissant que les apparences du pouvoir. Avec un protectorat exempt de rudesse et