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furent conquis. La province de Pégou passa aux mains de la Compagnie de l’Inde. Comme celle-ci était déjà maîtresse de l’Arakan et du Tenasserim, qu’elle tenait la côte depuis les bouches du Gange jusqu’à la presqu’île de Malacca, le roi et son royaume restèrent comme en cage, sans une ville, sans un port, sans un débouché sur la mer.

Lord Dalhousie, alors vice-roi de l’Inde, ne daigna même pas traiter avec les Birmans vaincus. Une simple proclamation leur apprit la cessation des hostilités et le nombre de villes qu’ils perdaient.

Comme nous n’avions encore ni la Cochinchine ni le Tonkin, ces événemens nous laissèrent indifférens et passèrent inaperçus. Les nations rivales de la France pouvaient alors s’agrandir au détriment de notre influence et de nos intérêts en Asie, sans que l’attention que nous prêtions alors aux questions de politique intérieure, les seules qui nous passionnent, en aient été le moins du monde distraite.


IV

Pour succéder au roi imbécile qui s’était laissé si facilement battre et abattre, le peuple alla chercher, dans un monastère où il vivait de la vie calme des religieux, un prince du nom de Mendoûme-Men. C’était un esprit vraiment éclairé, d’une grande élévation d’idées, ayant toujours préféré la simplicité au faste, la pauvreté aux richesses, la chasteté aux plaisirs du harem. Toutefois, dès qu’il fut sur le trône, s’il continua à rester remarquablement avisé et sage, il dut, pour se conformer aux traditions, modifier ses habitudes, et il les modifia si bien que, lorsqu’il mourut, il laissa cinquante-trois veuves reconnues ses femmes légitimes et une bien plus grande quantité de concubines. Des premières, il avait eu quarante-huit garçons et soixante-deux filles. On ne s’est jamais donné la peine de compter les enfans des favorites, puisque, en raison de leur illégitimité, leur compétition au trône n’était pas à craindre. C’était pour éviter, — on le verra plus loin, — une rivalité possible avec le fils que Mendoûme-Men avait choisi pour lui succéder, que la reine mère et l’une de ses filles ordonnèrent un massacre général de princes et de princesses. Leurs partisans, — chaque prince a les siens, — auraient partagé leur sort si le temps n’eût manqué à ces femmes sanguinaires. Je dois dire, pour être impartial, que la tradition et la raison d’Etat autorisaient ces tueries.

Le sage Mendoûme-Men, secondé par un frère aux idées aussi