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Birman est toujours content, prêt à rire, à jouer, toujours disposé comme l’Irlandais à se faire casser la tête, pourvu que lui-même en casse une autre ou quelque chose. Ce qu’il y a de bien remarquable en eux, c’est la parfaite égalité des classes : on n’y a pas plus de déférence pour le riche que pour le pauvre, le titré que le vilain, l’homme en place que le vagabond. Le mot égalité leur étant inconnu, ils sont égalitaires sans le savoir, comme M. Jourdain était prosateur. Je dois dire que c’est un précepte de Bouddha gravé dans leur cœur, et non peint en noir aux frontons des palais et des églises, qui les fait se considérer comme égaux.

En 1855, la population des trois provinces birmanes annexées à l’empire de l’Inde, Pégou, Arakan et Tenasserim, n’était que de 1,500,000 individus ; en 1881, elle s’élevait à 3,750,000. Rangoun, qui, en 1855, ne possédait que 2,000 habitans, en compte aujourd’hui 150,000. Selon le colonel Yule, la haute Birmanie, à la même époque, avait seulement 3,600,000 âmes ; elle en possède maintenant 7 millions. C’est donc pour le pays entier près de 11 millions. Les Anglais comptent bien que les Shans, les Kakhyens et les Singpos, tribus indépendantes qui fuyaient la tyrannie des rois birmans, émigreront sur le territoire annexé et leur fourniront les laboureurs dont le pays a le plus grand besoin. Ainsi que je le disais, le Birman s’adonne bien par momens au travail ; mais cela dure peu ; très enclin au dolce far niente, il arrange son existence de façon à paresser le plus possible. On compte aussi que les Chinois, qui par centaines de mille émigrent en Amérique, aux Sandwich, aux Philippines, à Siam et dans les îles du détroit de la Sonde, afflueront un jour en Birmanie. Ils y trouveront la religion qu’ils pratiquent et un climat qui leur convient. Ils s’y enrichiront sans aucun doute, mais ce sera la ruine des indigènes, et peut-être l’appauvrissement du pays. Parasites de la terre où ils se montrent, ils ne la fécondent même pas de leurs ossemens, car les richesses qu’ils y amassent suivent en Chine le cercueil du mort.

La liberté dont les femmes birmanes jouissent dans leur pays n’est égalée nulle part. Le mariage est entièrement civil ; il suffit qu’il soit dénoncé de vive voix aux parais et aux amis pour être définitif. Il en est de même, du reste, de la séparation : on se désunit sans plus de formalité que l’on ne s’est joint. La dot de la femme est entièrement dévolue aux enfans, et, à défaut, à ses parens en cas de mort. S’il y a divorce, elle reprend sa dot, en y ajoutant ce que personnellement elle a gagné ou acquis par héritage. Il n’est pas en Europe d’être humain dont les intérêts soient mieux protégés. Fille, elle se marie à son gré et lorsque cela lui fait plaisir ; mariée, elle quitte son époux dès que celui-ci la néglige ou la