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De ce qui précède, il ne faudrait pas conclure que la vertu seule fleurisse en Birmanie. Beaucoup d’hommes s’adonnent au vice de l’opium et puisent dans les rêves qu’il procure des sensations avilissantes. Les femmes, grâce aux lois qui les protègent, font, de leur côté, un trafic du mariage. Elles épousent des Chinois riches qu’elles abandonnent dès que ceux-ci ont dépensé pour leur plaire jusqu’à leur dernière roupie. C’est de bonne guerre ; les Célestes, ainsi que les Juifs d’Algérie et de Tunisie, sont les parasites des régions sur lesquelles ils s’abattent comme une nuée de sauterelles voraces. Les ministres et leurs subalternes n’ont aussi jamais passé pour être incorruptibles. Les hommes ne sont pas parfaits, et ici, comme ailleurs, ils l’ont prouvé. Ils ont, du moins, un mérite, et qu’on ne peut leur enlever, c’est celui d’avoir été les seuls artisans de leurs œuvres. Ainsi qu’on Chine, les emplois ne sont pas héréditaires ; ils sont acquis au concours et à la suite d’examens sérieux ; des hommes d’une basse extraction, même des coulies, ont pu devenir ministres d’état. Comme le disait à la Société des arts de Londres M. J. -George Scott, « au temps où la Birmanie avait encore des despotes, il était plus facile à un indigène intelligent de choir que de s’élever. » Les hauts fonctionnaires songeaient beaucoup plus à se préserver de la torture et de la mort qu’à s’occuper des affaires publiques. Leur situation et leur vie ne dépondaient pas des lois, mais des caprices d’un souverain qui, lui aussi, dépendait de son entourage.

Les employés à la cour et les favoris n’ayant pas de traitemens, on leur donnait le gouvernement d’une province. Comme les gouverneurs aimaient bien mieux rester dans la capitale que d’aller au loin, ils avaient des délégués qui, tout à la fois juges, administrateurs, chefs militaires et percepteurs, pressuraient les contribuables jusqu’à ce qu’ils eussent rendu ce qu’on voulait d’eux. Et quels étaient ces favoris bombardés gouverneurs ? Les filles d’honneur de l’une des reines, les cornacs d’un éléphant blanc, ou tout simplement les porteurs du royal crachoir, office qui n’est pas une sinécure avec des princes qui mâchent le bétel. C’était pour ces favoris de cour que le Birman laborieux, — oiseau rare, — prenait de la peine et travaillait. Il en arrivait presque toujours à se dire qu’il valait bien mieux ne rien faire et passer sa vie à fumer d’interminables cigarettes à l’ombre des bananiers. Dans un pays où le mépris des richesses est une vertu et tenu en honneur, rien n’est plus aisé que de se contenter de peu. Et, de fait, il n’y a pas de pauvres dans cette région fortunée, et ceux que l’on voit mendier dans les villes et les campagnes ont parfois de grandes fortunes. Les Anglais appellent les Birmans les Irlandais de l’est, parce que le