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publiquement et voué aux vengeances de l’esprit démocratique ce corps servile dont « l’extinction, disait-il, ne serait que la conséquence nécessaire du décret qui a détaché les esclaves enchaînés dans Paris à la statue de Louis XIV. » Et tandis que, dans le même pamphlet, Chamfort poursuivait des mêmes insultes l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, incapable suivant lui de rien de plus que d’apprendre au public en quoi consistait « la batterie de cuisine de Marc-Antoine, » à l’Assemblée nationale Mirabeau lui-même se préparait, quand la mort le surprit, à dénoncer publiquement l’Académie française comme « une école de servilité et de mensonge. » Le discrédit dans lequel les différentes Académies étaient tombées, les défiances tout au moins qu’elles inspiraient étaient telles et les décourageaient elles-mêmes à ce point que, longtemps avant l’acte législatif qui devait les anéantir, elles paraissaient presque avoir cessé de vivre ou n’avoir plus en réalité d’autre ambition que celle de se faire oublier. L’Académie française en particulier se sentait si bien atteinte ou plutôt si bien condamnée déjà, qu’elle n’osait même pas pourvoir au remplacement des six membres qu’elle avait perdus de 1789 à 1792[1]. Encore le moment ne tarda-t-il pas avenir où ce qui avait été de sa part une mesure spontanée de précaution se changea en prohibition officielle. Par un décret en date du 18 novembre 1792, la Convention défendit à toutes les Académies de nommer aux places vacantes dans leur sein, et si, au mois de mai de l’année suivante, l’interdiction fut levée au profit de l’Académie des sciences, celle-ci ne jouit pas longtemps de cette faveur exceptionnelle, puisque, trois mois plus tard, elle était, comme les autres Académies, supprimée.

En frappant ainsi de mort les anciennes Académies et, avec elles, — pour employer les termes mêmes du décret voté dans la séance du 8 août 1793, — « toutes les sociétés littéraires patentées ou dotées par la nation », la Convention nationale exprimait, il est vrai, l’intention, non pas de les ressusciter un jour, mais de les remplacer par une « Société destinée à l’avancement des sciences et des arts » et elle chargeait (article 3) « son comité d’instruction publique de lui présenter incessamment un plan d’organisation de cette société. »

Y avait-il là toutefois rien de plus qu’une vague promesse, qu’un engagement d’autant moins sérieux au fond qu’il était plus équivoque dans les termes ? Que serait cette « société » et, jusqu’à ce

  1. Les six membres de l’Académie française auxquels, à cette époque, il ne fut pas donné de successeurs, étaient : l’abbé de Radonvilliers et le duc de Duras, morts en 1789 ; Guibert, en 1790 ; Rulhière, en 1791 ; Séguier et Chabanon, en 1792.