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l’œuvre avec toute l’activité qu’on devait attendre de sa jeunesse (il n’était alors âgé que de vingt-huit ans), et en même temps avec la prudence qu’aurait pu avoir en pareil cas un homme vieilli dans la pratique des affaires. Tout d’abord il avait compris que, malgré sa précoce renommée, malgré l’estime où la cour le tenait, lui et son talent, il n’avait pas une force suffisante pour entamer ouvertement la lutte ou pour la poursuivre en son nom, et que le mieux était de conduire la campagne sous l’autorité apparente de quelque haut personnage auquel il inspirerait pour ainsi dire ses propres desseins en faisant mine de réclamer ses avis. Le Brun alla donc trouver un conseiller d’état qu’il avait connu à Rome, M. de Charmois, homme influent, grand ami des arts d’ailleurs, et que ses souvenirs d’Italie semblaient prédisposer mieux qu’un autre au rôle qu’il « ‘agissait de lui attribuer. M. de Charmois en effet avait eu pendant son séjour à Rome des relations assez fréquentes avec les membres de l’académie de Saint-Luc, il connaissait bien l’organisation de cette compagnie : il y avait tout lieu de croire que la proposition de travailler à établir en France une association analogue ne laisserait pas de lui sourire, surtout si cette proposition était faite de telle sorte qu’elle ressemblât moins à une suggestion formelle qu’à un appel sans arrière-pensée aux lumières et à l’expérience de celui à qui on l’adresserait.

M. de Charmois, comme avait pressenti son habile interlocuteur, prit feu dès les premiers mots pour les réformes projetées. Quelques entrevues ménagées par Le Brun avec les principaux des académiciens futurs achevèrent, les jours suivans, d’échauffer son zèle : si bien qu’il se mit sans désemparer à rédiger un long mémoire, moitié réquisitoire, moitié supplique, dans lequel tous les griefs des artistes, privilégiés ou non, contre la maîtrise, étaient soigneusement exposés, tous les avantages à retirer d’une organisation nouvelle mise en regard des abus présens. La pièce se terminait par la demande explicite de l’approbation royale pour l’établissement d’une académie de peinture et de sculpture absolument indépendante de la communauté des maîtres ou, suivant les termes employés par le porte-parole officiel de Le Brun et de ses amis, « séquestré pour jamais de ce corps mécanique. »

Lue par M. de Charmois lui-même dans la séance du conseil tenue le 20 janvier 1648, la roquette y reçut le meilleur accueil, particulièrement de la part de la reine-régente que les prétentions de la maîtrise en ce qui concernait les peintres de la cour avaient personnellement offensée. Lorsque, quelques jours plus tard, il s’agit d’obtenir l’expédition de l’arrêt du conseil et, comme mesure confirmative, la promulgation des lettres-patentes signées par le