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je te donnerai de l’argent, beaucoup d’argent, tout ce qu’il te plaira de me demander.

Il tenait toujours son rasoir à la main ; son attitude était à la fois si piteuse et si comique que Matrina partit d’un nouvel éclat de rire.

— Allons ! dit-elle, jette ce rasoir. Michalowski obéit.

Dès qu’ils furent arrivés au camp des brigands, Michalowski, tremblant de peur, se jeta à genoux aux pieds de Matrina, et lui demanda grâce de nouveau.

— Je ne veux pas te faire mourir, dit-elle avec un sourire railleur ; mais je te punirai comme tu le mérites, faux amoureux, lâche que tu es ! Je ne veux pas te traiter en homme, mais en brute, comme il te convient. Pis que cela, je ne veux voir en toi qu’un vil objet, dont je me servirai selon mon bon plaisir.

— Eh bien ! punis-moi, s’écria Michalowski, je l’ai mérité ; mais. je t’en supplie encore, fais-moi grâce de la vie !

Matrina lui enleva le nœud coulant.

— Maintenant, dit-elle, n’oublie pas une chose : c’est que, si tu tentes seulement de t’enfuir, je te ferai pendre sans pitié à la première branche.


Michalowski était donc condamné à vivre parmi les brigands. Chaque fois qu’ils changeaient de campement, c’était lui que Matrina chargeait de porter les bagages. Elle le faisait trotter devant elle, comme une bête de somme, l’appelant son âne et le traitant comme tel, à coups de Kantchouk. Quand ils faisaient halte, Michalowski se mettait à quatre pattes, et Matrina s’asseyait sur son dos comme sur un divan. Quand elle avait besoin de s’asseoir, elle n’avait qu’à dire : « Où est mon banc ? » Et, aussitôt, le pauvre mandatar accourait s’offrir à Matrina avec le même empressement qu’il lui aurait approché un fauteuil.

Il arrivait souvent que les paysans venaient solliciter la protection et l’assistance des haydamaks contre leurs tyrans, contre les nobles, leurs mandatars, contre des prêtres ou des juifs trop avides. Matrina, pour écouter leurs plaintes, et rendre en quelque sorte la justice, s’asseyait sur le mandatar recouvert d’une peau d’ours, et se servait de son dos comme d’un trône.

Lorsque les brigands annonçaient leur visite à un village voisin des Carpathes, personne ne songeait à leur faire mauvais accueil, bien au contraire. Tout était préparé à l’avance pour recevoir le mieux possible ces hôtes quelquefois utiles, toujours redoutés. Les tables étaient chargées de victuailles, l’eau-de-vie coulait à flots,