Page:Revue des Deux Mondes - 1889 - tome 93.djvu/939

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

attention à cette villageoise qui se présentait, les yeux timidement baissés, vêtue d’une chemise de toile grossière et d’une jupe toute rapiécée, la chevelure mal peignée, en broussaille. Mais, le jour qu’elle se montra sous le joli costume que sa maîtresse lui avait tout de suite fait confectionner, d’après son goût et d’étoffes assez coûteuses, à la mode des belles villageoises galiciennes, la gentille Matrina attira tous les regards. Avec sa taille svelte et souple, ses bottes de maroquin jaune, son jupon de percale chamarrée, son corsage rouge, sa pelisse de peau d’agneau brodée, sa chemise fine et blanche, bouffant gracieusement sous la fourrure noire, et ses longues tresses sombres qui se balançaient avec coquetterie jusque sur ses hanches rondes, la jeune paysanne avait une désinvolture pleine de charme et de voluptés asiatiques. Sur sa figure, éblouissante de fraicheur, l’air timide et craintif faisait place, de plus en plus, à une aimable assurance ; et deux semaines ne s’étaient pas écoulées qu’elle portait la tête fièrement, comme une princesse, et que ses yeux noirs et étincelans semblaient n’avoir été créés que pour ordonner et menacer.

Bientôt, tous les cœurs mâles à Maluchiw brûlèrent pour la belle Matrina. Le cocher et le cosaque rivalisaient avec le valet de chambre. Le secrétaire du seigneur prit feu à son tour, et l’incendie finit par gagner jusqu’au mandatar (administrateur), le noblement né M. Boguslav Michalowski, lequel ne put résister au besoin de déposer ses hommages aux pieds de cette beauté superbe.

Dans l’Orient slave, ces petits romans intimes ne sont pas rares, de même que dans les pays aux contes bleus de l’Orient mahométan. Une simple juive, la belle Esterka, ne fit-elle pas, un jour, de la tête sacrée de Casimir, roi de Pologne, un escabeau pour ses pieds ? Plus d’une Vénus rustique a ainsi transformé son noble et fier seigneur en un aveugle esclave de ses caprices de sultane. C’est de la même façon que la belle fille d’un paysan de Zloczow devint comtesse Komareizka.

M. le mandatar était un homme dans la fleur de l’âge, possédant un cœur très aimant, que son épouse acariâtre et impérieuse n’avait jamais pu captiver entièrement. Il y avait toujours place dans ce cœur hospitalier, pour quelque beauté à la recherche de l’âme sœur. Ce fut d’abord une charmante propriétaire des environs qui l’occupa, ensuite la femme d’un cabaretier juif, laquelle fut remplacée par une institutrice suisse. Le trône réservé était encore une fois vacant, et la belle Matrina semblait avoir été créée tout exprès pour y monter.

M. Michalowski ne tarda pas à constater qu’il avait de nombreux concurrens et qu’il devait se hâter, s’il ne voulait pas être battu