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l’Afrique australe ne circulent qu’au moyen de chariots attelés de vingt paires de bœufs. Quelles peuvent être, dans de telles conditions, les perspectives du commerce ? L’ivoire diminue avec les éléphans, dont on a fait tant d’hécatombes : les produits naturels, si abondans qu’ils soient, ne paieraient pas les frais de transport. D’un autre côté, sauf les articles de pacotille, les marchandises européennes à l’usage des Africains seraient pour le moment en quantité très restreinte. Les fabricans de tissus attendront longtemps que les dames de l’Oukarannga et de l’Ouroua s’avisent d’allonger leurs jupes. Ces populations sont habituées à vivre très simplement et au jour le jour. Nous sommes donc loin des centaines de millions que des colonisateurs trop enthousiastes promettent, à brève échéance, au commerce africain. Le progrès ne viendra que lentement, à force de patience, d’habileté et de sage conduite. Que l’on se garde bien surtout de recourir aux armes et à la conquête. Cela coûterait trop cher, en argent et en hommes. « En 1857, nous dit Cameron, un mousquet était l’héritage d’un chef et les heureux possesseurs de cette arme précieuse ne se rencontraient que de loin en loin. Lors de ma visite (en 1874), presque tous les villages pouvaient montrer au moins la moitié de leurs adultes munis d’armes à feu. » Autrefois, et il n’y a pas longtemps encore, il suffisait de quelques Européens résolus, armés de bons fusils, pour mettre en déroute les bandes et même les armées d’Asie et d’Afrique, incapables de se défendre avec leurs flèches et leurs frondes, avec leurs rares fusils à mèche ou à pierre. Aujourd’hui, les fusils à longue portée et à tir rapide sont partout, en Chine, au Tonkin, à Madagascar, au Sénégal. La conquête devient très dure. Les Européens, si vaillans qu’ils soient, n’ont plus aussi facilement raison des multitudes, pourvues récemment d’armes perfectionnées. Les nègres de l’Afrique sauront bientôt user comme nous des armes que nous avons l’extrême bonté de leur vendre. Les temps héroïques de la conquête facile, en Afrique comme en Asie, sont passés. Laissons l’intérieur de l’Afrique aux Africains, et, si nous avons intérêt à préparer pour l’avenir à l’Europe qui déborde un nouveau champ d’exploitation, ne procédons que par les moyens pacifiques. Ne cherchons pas en Afrique une seconde édition du Tonkin. Tel paraît être, au surplus, le plan tracé au Congo par le roi des Neiges et recommandé à M. de Brazza.

Nous pourrions ainsi, avec la collection du Tour du monde, visiter toutes les régions de la planète, parcourir d’un pôle à l’autre la terre et les océans, soit au milieu des ruines antiques, soit parmi les grandeurs vivantes de notre civilisation, soit à la découverte des pays nouveaux. Nous aurions pour guides les voyageurs et les